Nous sommes à Paris depuis peu, et ne crois donc pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes parisiennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, mais suffisante pour m’être déjà beaucoup étonné. Je vais te dire par exemple, Mon Cher Ibben, comment j’ai été frappé d’apprendre le fonctionnement étrange de certaines institutions pourtant fort respectables et utiles. Je t’ai déjà écrit combien, en France, le Prince tenait le livre en haute estime. Il y a par exemple à Paris, installée dans le charmant hôtel d’Avejean, une de ces institutions qui est la maison de tous les gens du livre. C’est ainsi que le Prince en a voulu il y a quelques années, dans sa grande libéralité. Or, il se trouve que j’ai pu rencontrer à l’occasion de mon voyage de Marseille à Paris quelques représentants de maisons d’édition qui tous m’ont dit qu’il n’en était pas tout à fait ainsi et comment ils nourrissaient le vif désir que les choses puissent changer. En vérité, mon Cher Ibben, c’est un fait qu’existe dans les provinces de France et à Paris une multitude de petites et moyennes maisons d’édition qui ont la caractéristique d’être indépendantes et dont l’excellence du travail n’est pas moins estimable que celui des grandes et déjà bien reconnues maisons de la place parisienne ; il semble pourtant, et c’est bien navrant, qu’elles comptent si peu en ce pays que cette institution dont je te parle n’ait toujours été contrôlée que par l’organisation qui rassemble ces très installées maisons. Tant et si bien que l’on serait porté à voir dans cette institution sa propriété. C’est ainsi que tout récemment, lors de l’élection du conseil d’administration de ce prétendu lieu de tous les gens du livre, c’est encore elle qui a décidé des sièges, sans que rien ne semble pouvoir bouger. Par le jeu d’une manœuvre aussi habile en effet que fort peu courtoise, dont il semble bien qu’elle soit la marque de l’une de ces mœurs parisiennes, l’ambassadeur de cette organisation a œuvré à cette conservation. Et cela sans que le prince ne s’en émeuve véritablement. Vraiment mon Cher Ibben, c’est un curieux pays que je découvre. Je continuerai à t’écrire, et je t’apprendrai des choses bien éloignées du caractère et du génie persan. C’est bien la même terre qui nous porte tous deux ; mais les hommes de la ville où je suis, et ceux du pays où tu es, sont des hommes bien différents. De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 2024.