Le Petit Journal de la FEDEI FEDEI, le petit journal N°2

« Le Petit journal de l’édition indépendante » vient de naître, il est vivant et il est riche d’informations ! Basé sur une technologie d’édition numérique enrichie, il propose une expérience de « lecture » à plusieurs niveaux, à votre rythme et sans sollicitations extérieures. Ce « Petit journal », premier rendez-vous, premier « fil » que la Fédération des éditions indépendantes a souhaité tisser entre son travail et celui des acteurs du monde du livre s’adresse en premier lieu aux maisons d’édition adhérentes mais, que vous soyez éditeur non encore adhérent, auteur, libraire, médiathécaire, diffuseur, distributeur, agent d’une institution ou simplement lecteur curieux, vous y trouverez forcément une information qui vous concerne. Il est conçu et édité par la FEDEI, sur un rythme trimestriel, en libre-accès sur internet et sur abonnement gratuit. Chaque trimestre, un numéro chassera le précédent mais tous resteront disponibles à la lecture. N’hésitez-pas à le consulter quand le cœur vous en dit, à vous y abonner, à le partager autour de vous. Ce sera déjà un geste pour la bibliodiversité ! « Le Petit journal de l’édition indépendante » est disponible dès à présent sur cette adresse : lepetitjournal.fedei.fr

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Quand, dans nos langues de travail, nous découvrons des textes de qualité qui, par leur recherche stylistique, leur approche ou leurs thématiques, divergent de la masse, c’est vers vous que nous nous tournons : nous savons votre engagement pour la diversité et pour une politique de fonds, mais aussi votre courage de les défendre dans un environnement saturé de textes mainstream, qui accaparent l’attention et l’espace en librairie. C’est pourquoi nous vous appelons à refuser le recours à l’intelligence artificielle générative en traduction et à exprimer publiquement votre position. Ce parfait produit de la logique délétère du « toujours plus, toujours plus vite » constitue une sérieuse menace pour la pensée libre, pour les textes que vous publiez, pour nos et vos conditions de travail, pour l’éthique et pour l’engagement en faveur de la bibliodiversité de qualité qui sont au cœur de votre Fédération.   Les pouvoirs publics et industriels du secteur, les promoteurs de l’IA générative (IAG) mettent constamment en avant les arguments de réduction des coûts et de gain de temps, aussi bien à l’adresse des commanditaires que des traducteur·ices. Ces arguments sont fallacieux.   Pour nous, traducteur·ices, « réduction des coûts » signifie « réduction de la rémunération », au motif que cela nous ferait « gagner du temps ». Aucun gain de temps n’est obtenu par l’utilisation de l’IAG en traduction. Il est plus rapide d’effectuer une traduction humaine que de « corriger » un texte généré par des systèmes automatisés, car la machine ne traduit pas, elle ne comprend pas le texte original, ne l’analyse pas, n’en saisit pas le contexte, le rythme, la musicalité, l’épaisseur, les sous-entendus – en somme, elle génère sans expérience du monde ni sensibilité. De plus, il a été prouvé que, pour médiocre qu’il soit, le texte généré par la machine s’impose à l’esprit, ce qui entrave la créativité des traducteur·ices et leur réflexion. Leur travail s’en trouve morcelé, ils et elles sont dépossédé·es de leur relation première au texte, qu’ils et elles ne peuvent plus penser dans sa cohérence globale. Ainsi, à temps égal passé sur un texte, on obtient un résultat de moindre qualité, tout au plus simplement passable.   L’utilisation de l’IAG en traduction et dans tous les domaines intellectuels conduit, entre autres, à une standardisation et à un appauvrissement de la langue et de la pensée, engendre des pertes immenses en savoir-faire, compétences cognitives et capacités intellectuelles. Elle impose une logique de rendement néfaste qui dégrade encore davantage nos existences et les conditions d’exercice de nos métiers déjà précaires.   Qui plus est, il y a « tromperie sur la marchandise » : les textes générés par des machines ne sont jamais signalés comme tels aux lecteurs, qui ne peuvent donc plus faire leurs choix de lecture en toute connaissance de cause, ainsi que votre Fédération le souhaite. Par ailleurs, utiliser l’IAG, c’est accepter de s’appuyer sur une technologie très énergivore et dépendante de l’exploitation de centaines de milliers de « travailleurs du clic » sous-payés, en France et aux quatre coins du monde. Qu’elles soient européennes ou non, les sociétés et start-up qui développent ces programmes – à grand renfort d’argent public, rappelons-le – n’ont aucun autre but que leur propre profit et, pour cette raison, tentent de les implanter partout ; la diversité et la richesse culturelles ne seront jamais leur problème ni leur priorité. Nous pouvons nous défendre contre cette aberration. Le déferlement de l’IAG dans la traduction et plus généralement dans l’édition n’est pas une fatalité, mais résister face aux pressions économiques et technosolutionnistes suppose l’engagement de tous les maillons de la chaîne du livre. Nous avons pour cela plusieurs outils à notre disposition. Le premier, tout simplement, est de refuser, de déserter son utilisation, que ce soit pour la création de contenus en tant que telle, mais aussi pour la rédaction de vos argumentaires, documents promotionnels, ou pour vous faire une idée d’un texte dont vous ne lisez pas la langue. Il est également précieux que les prises de position publiques se multiplient. Nombre d’entre vous ont déjà signé le manifeste du collectif En Chair et en Os – si ce n’est pas le cas, il est encore temps de le faire ! –, que vous pouvez diffuser librement (des traductions en plusieurs langues sont disponibles), de même que toutes les ressources qui figurent sur notre site, dont nos revendications précises. Concrètement, vous pouvez insérer dans les contrats que vous signez des clauses de protection mutuelle contre l’usage de l’IAG et contre la fouille automatique des textes que vous publiez, en faisant pour ce dernier point jouer votre droit d’opt-out (opposition à la fouille de texte). Vous pouvez reprendre pour cela les clauses 1.2 et 10 du nouveau modèle de contrat proposé par l’Association des Traducteurs Littéraires de France. Par défaut, sans opposition expresse de la part du diffuseur, les modèles d’IAG ont le droit de fouiller tous les contenus accessibles sur Internet à des fins d’entraînement, y compris ceux protégés par le droit d’auteur. L’opt-out peut tout d’abord être exprimé dans les conditions générales d’utilisation de votre site Internet. Il est toutefois fortement recommandé de le signifier dans les métadonnées par le protocole « TDM reservation », qui constitue une solution technique efficace. Le SNE propose une clause-type à insérer dans les CGU, ainsi qu’un outil permettant d’exercer l’opt-out par les métadonnées. Pourquoi est-il essentiel d’exercer son droit d’opt-out ? Bien sûr pour assurer la protection de textes soumis au droit d’auteur, mais aussi pour entraver dans la mesure de nos moyens le développement d’une concurrence déloyale et la prolifération de produits culturels générés à bas coût en quantités colossales, au détriment de la qualité, de l’engagement et du choix humains, de ce qui fait le sens du travail de création. Ces sorties machines sont une menace pour la survie d’une édition de qualité, et pour celle de nos emplois à toutes et tous. Les modèles d’IAG ne peuvent pas fonctionner sans s’entraîner sur des données humaines ; c’est un des leviers dont nous disposons. Alors que l’édition, le monde de la création, la société en général sont confrontés au défi de l’irruption de l’IAG dans de nombreux domaines, il en va de notre responsabilité à toutes et tous de nous poser la question de ses usages, de la finalité, des enjeux, des risques, des intérêts servis. Il est essentiel que chaque maillon de la chaîne du livre s’engage pour préserver tous nos savoir-faire, la maîtrise de notre travail et de nos choix, et – c’est notre rôle à jouer vis-à-vis de la société – une création et une pensée diverses et vivantes : tenons le cap ! Tenir le cap, ensemble : pas d’IAG pour les indés ! En chair et en os est un collectif de traducteurs et traductrices formé en septembre 2023 pour alerter sur l’usage de l’IAG dans la traduction, et dans la création en général. Notre manifeste en défense de la traduction humaine, publié en octobre 2023 dans Libération, a été signé par de nombreuses personnalités du monde de la culture. Nous poursuivons aujourd’hui ce combat, persuadé·es de l’importance d’une résistance collective.