Le Petit Journal de la FEDEI FEDEI, le petit journal N°3

Page 11 : FEDEI, le petit journal N°3

Mon Cher Ibben, c’est toujours de Paris que je t’écris. Je commence à bien saisir un trait particulier des Français. La fureur de la plupart, d’entre eux, c’est d’avoir de l’esprit ; et la fureur de ceux qui veulent avoir de l’esprit, c’est de faire des livres. Cependant il n’y a rien de si mal imaginé : la nature semblait avoir sagement pourvu à ce que les sottises des hommes fussent passagères, et les livres les immortalisent. Un sot devrait être content d’avoir ennuyé tous ceux qui ont vécu avec lui : il veut encore tourmenter les races futures, il veut que sa sottise triomphe de l’oubli, dont il aurait pu jouir comme du tombeau ; il veut que la postérité soit informée qu’il a vécu, et qu’elle sache à jamais qu’il a été un sot.Si je te dis cela, Mon Cher Ibben, c’est que je suis frappé par la masse de livres inutiles et vaniteux qui encombrent les échoppes des libraires ; et cela semble aujourd’hui être une grande mode que de vouloir écrire et publier quand de tous ces prétendus écrivains, fort peu en mériteraient le titre. De tous ceux-là, il n’y en a point que je méprise plus que les compilateurs, qui vont, de tous côtés, chercher des lambeaux des ouvrages des autres, qu’ils plaquent dans les leurs, comme des pièces de gazon dans un parterre. Quand on n’a rien à dire de nouveau, que ne se tait-on ? En vérité, mon Cher Ibben, tout cela est bien navrant et combien je plains ces pauvres libraires accablés sous les cartons emplis d’ouvrages de cette sorte et qui leur arrivent par ce que l’on appelle ici l’office. Tu peux me croire, cette industrie à fabriquer toujours plus de livres est folle, et il ne m’a pas fallu longtemps dans mes visites de librairies pour prendre la mesure de cette folie. Partout et en piles, beaucoup de ces mauvais livres qui encombrent plus qu’autre chose.Si je t’écris sur ce sujet, c’est parce que je suis outré d’un livre que je viens de quitter, qui est si gros qu’il semblait contenir la science universelle ; mais il m’a rompu la tête sans m’avoir rien appris. Heureusement, j’ai là sous la main un gros ouvrage d’un tout autre ordre et qui te plairait je crois. Il est l’œuvre d’un de ces éditeurs artisans dont je te parlerai bientôt et qui apporte richesse et variété à l’édition française. Figure-toi que ce livre entreprend de faire une histoire très sérieuse de nos sérails. Voilà qui rétablira sans doute une meilleure opinion des Français quant à nos propres mœurs.De Paris, le 20 de la lune de Rabi’ ath-thani, 2024.