En 2014, le gouvernement marocain tend la main pour la première fois à ceux qu’il a longtemps ignorés, voire discriminés et organise une campagne de régularisation massive des clandestins. Cette décision, qui émane directement du Roi Mohammed VI, semble essentiellement politique, alors que l’Europe regarde vers ses frontières extérieures, mais c’est une porte ouverte pour Aissatou qui dépose 6 dossiers à la Wilaya de Tanger. Elle obtient les cartes de séjour et avec elles, le droit de travailler, d’ouvrir un compte bancaire, de louer un appartement, etc. Mais les fruits que porte cette régularisation potemkine sont très limités. La situation économique marocaine ne permet pas d’intégrer les migrants subsahariens, qui ne trouvent ni emploi, ni reconnaissance, ni situation. Le racisme endémique de classe et d’origine qui gangrène le pays, est un coup de frein supplémentaire qu’Aicha a du mal à encaisser. Malgré les 16 000 régularisations, nombreux sont ceux qui, carte de séjour en poche, reprennent coûte que coûte la route de l’Europe. Fin 2014, Aicha se casse la jambe dans les rues pavées et inégales de Souk Dakhel. Elle est opérée à la hâte par un médecin urgentiste peu consciencieux. Elle garde jusqu’à aujourd’hui les séquelles de cette opération ratée qui l’a empêché de marcher pendant près de deux ans. Sans soins ni rééducation, avec une barre en fer de 20 centimètres dans le pied et des vis dans l’articulation, Aissatou est quasi-immobilisée. Elle doit se déplacer en chaise roulante dans les petites rues chaotiques de Tanger. Elle ne peut plus accompagner ses enfants à l’école, ni vendre ses produits au marché. Parallèlement, les soutiens financiers occidentaux commencent à se tarir : l’éloignement et l’usure face à une situation qui n’évolue pas. « C’est normal, chacun a sa vie », disait-elle alors. C’est à cette époque qu’elle décide de reprendre la route pour l’Europe, cette fois-ci par la mer. « Pas le choix », répétait-elle sans cesse, avec une sérénité glaçante. Nous sommes en hiver 2014-2015. 14 kilomètres séparent Tanger de Tarifa et chaque année, des milliers de migrants font le voyage sur des bateaux gonflables, avec ou sans moteur. Des centaines d’entre eux perdent la vie dans ce détroit aux courants puissants et changeants. La jambe cassée, Aicha va tenter ce voyage plusieurs fois en quelques mois, ce qui est inconcevable lorsqu’on sait que ni elle ni ses enfants ne savent nager. Dupée, déroutée ou interceptée, la famille ne traversera finalement jamais le bras de mer. En 2014, le gouvernement marocain tend la main pour la première fois à ceux qu’il a longtemps ignorés, voire discriminés et organise une campagne de régularisation massive des clandestins. Cette décision, qui émane directement du Roi Mohammed VI, semble essentiellement politique, alors que l’Europe regarde vers ses frontières extérieures, mais c’est une porte ouverte pour Aissatou qui dépose 6 dossiers à la Wilaya de Tanger. Elle obtient les cartes de séjour et avec elles, le droit de travailler, d’ouvrir un compte bancaire, de louer un appartement, etc. Mais les fruits que porte cette régularisation potemkine sont très limités. La situation économique marocaine ne permet pas d’intégrer les migrants subsahariens, qui ne trouvent ni emploi, ni reconnaissance, ni situation. Le racisme endémique – de classe et d’origine – qui gangrène le pays, est un coup de frein supplémentaire qu’Aicha a du mal à encaisser. Malgré les 16 000 régularisations, nombreux sont ceux qui, carte de séjour en poche, reprennent coûte que coûte la route de l’Europe. Fin 2014, Aicha se casse la jambe dans les rues pavées et inégales de Souk Dakhel. Elle est opérée à la hâte par un médecin urgentiste peu consciencieux. Elle garde jusqu’à aujourd’hui les séquelles de cette opération ratée qui l’a empêché de marcher pendant près de deux ans. Sans soins ni rééducation, avec une barre en fer de 20 centimètres dans le pied et des vis dans l’articulation, Aissatou est quasi-immobilisée. Elle doit se déplacer en chaise roulante dans les petites rues chaotiques de Tanger. Elle ne peut plus accompagner ses enfants à l’école, ni vendre ses produits au marché. Parallèlement, les soutiens financiers occidentaux commencent à se tarir : l’éloignement et l’usure face à une situation qui n’évolue pas. « C’est normal, chacun a sa vie », disait-elle alors. C’est à cette époque qu’elle décide de reprendre la route pour l’Europe, cette fois-ci par la mer. « Pas le choix », répétait-elle sans cesse, avec une sérénité glaçante. Nous sommes en hiver 2014-2015. 14 kilomètres séparent Tanger de Tarifa et chaque année, des milliers de migrants font le voyage sur des bateaux gonflables, avec ou sans moteur. Des centaines d’entre eux perdent la vie dans ce détroit aux courants puissants et changeants. La jambe cassée, Aicha va tenter ce voyage plusieurs fois en quelques mois, ce qui est inconcevable lorsqu’on sait que ni elle ni ses enfants ne savent nager. Dupée, déroutée ou interceptée, la famille ne traversera finalement jamais le bras de mer.