Historiquement, en Margeride, c’était l’agriculture de subsistance. Il y avait deux types d’activités principales : l’élevage de moutons pour la laine essentiellement et l’élevage de vaches. La plupart des exploitations agricoles étaient de toute petite taille et avaient quelques brebis et parfois quelques vaches. Comme les propriétés n’étaient pas suffisantes, les bêtes paissaient sur des surfaces collectives. La plupart des villages disposaient de terrains collectifs appartenant aux habitants du village. Ce sont « les sectionaux » ou « les biens de section ». Le berger du village était nourri, la plupart du temps, dans chacune des maisons, en fonction du nombre de brebis. Tous les jours, même pendant une bonne partie de l’hiver, il faisait le tour des maisons, récupérait les animaux et les amenait paître sur ces terres. Cela avait un intérêt très important car cela permettait aussi de compléter les pâturages faits par les vaches. Les vaches sont beaucoup plus gourmandes, elles laissent plus d’herbe et les moutons valorisent ces refus. La deuxième chose importante sur ces surfaces collectives, notamment sur les crêtes de la Margeride, Mercoire, Charpal, etc., c’était les troupeaux de transhumants qui venaient du sud de la France, du Gard, de l’Hérault. Ils montaient jusque-là, y passaient tout l’été, depuis mai jusqu’à fin août, début septembre. La richesse de leur apport, c’était ce que l’on appelle les nuits de fumature. Le soir on les ramenait dans le village, sur des parcelles qui allaient servir pour faire des céréales. La céréale et le pain, c’était les premiers besoins des paysans. La fumature, c’est-à-dire le fumier des animaux, c’était la fertilisation qui permettait ensuite d’avoir du pain. Les bovins, eux, permettaient d’avoir du lait, de faire du beurre et du fromage, la tomme aux artisous, et d’autres servaient d’animaux de labeur. Mais beaucoup de fermes n’avaient pas de bœufs, elles n’avaient pas cette capacité, alors, certains « joignaient » deux vaches. Ce qu’on appelle « joindre » c’est-à-dire mettre le joug qui permet de tirer des charges lourdes. D’autres empruntaient des bœufs en contrepartie de journées de travail pour faire un petit bout de champ où ils plantaient des céréales pour récupérer la farine nécessaire à leur alimentation. Il y avait quelques grosses propriétés, pas très nombreuses, qui employaient une partie de l’année une main-d’œuvre importante et peu rémunérée. Ce système de sectionaux permettait de garder cette population qui avait ainsi la possibilité de faire du labour et du pâturage. Du moment qu’ils faisaient fumer leur cheminée au premier janvier et qu’ils étaient présents depuis quelque temps, ils avaient droit, au même titre que tous les autres, à un pourcentage de parcelles cultivables et à un pourcentage de droit de pâturage et de droit de fumage ». Ce système a perduré jusqu’à la fin du dix neuvième siècle. En 1850, il y avait 140 000 habitants en Lozère. En Margeride, en respectant les mêmes proportions, il devait y avoir 80 000, 90 000 habitants. Et puis est arrivé le chemin de fer. Le chemin de fer, chez nous, plutôt que d’irriguer le territoire, il a fait remonter des céréales qui étaient à un prix de revient beaucoup plus bas que celui de Margeride. Les jeunes sont descendus faire les vendanges, puis dans les mines de charbon autour d’Alès alors que, à l’ouest, ils sont allés sur Paris, pour faire bougnat, bois ou charbon… Ceux-là ont parfois fait fortune, ceux partis à Alès sont devenus un peu moins riches. Les exploitations se sont restructurées progressivement et jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale c’était encore ce système qui perdurait. Les derniers bergers de village, ceux qui gardaient les animaux dans les biens sectionaux, ont disparu en 1980. Ce n’est pas si loin… Après la Deuxième Guerre mondiale, les choses sont allées relativement vite. Les éleveurs se sont mis à faire plus de bovins. Ils ont commencé à sélectionner et à faire du veau de boucherie. Ce veau de boucherie, le veau blanc, tant regretté, on n’en voit plus beaucoup aujourd’hui. C’était un veau élevé pendant quatre mois sous la mère, nourri au lait maternel, mais dans des étables très sombres comme on en avait en Margeride. Comme il n’y avait pas la lumière, on avait une viande très blanche. Ces veaux de boucherie étaient tellement appréciés sur le territoire qu’ils partaient, entre les deux guerres, par la voie du chemin de fer vers les villes du sud. Une grosse entreprise, la Cheville Langonaise, s’est installée sur tout le sud de la France, de Nice à Perpignan. Une cheville, c’est le nom qu’on donne aux entreprises qui font l’intermédiation entre l’abattoir et les bouchers. Alors, ici, les éleveurs se sont mis à faire du veau de boucherie et à sélectionner un peu mieux. Des laiteries se sont installées un peu partout, surtout en Margeride, et les éleveurs ont aussi vendu le lait. Jusque-là, ils ne vendaient que du beurre et du fromage le samedi sur le marché. Souvent, ce sont les femmes qui vendaient. À partir de 1960, des lois d’orientation agricole vont donner priorité aux agriculteurs sur le foncier. On leur donne aussi un certain nombre d’avantages financiers, des droits aux aides à l’installation, etc. Les jeunes qui s’installent peuvent investir, acheter du matériel, tout s’intensifie. Mais, dans les années 80, sont arrivés les quotas laitiers, c’est-à-dire l’interdiction de dépasser un certain volume de production en fonction d’un quota historique. Et comme nous n’avions pas des quotas très importants en Lozère, beaucoup d’exploitations se sont reconverties dans la production de viande. La politique agricole commune s’est aussi orientée dans ce sens, elle a donné des aides plus importantes aux éleveurs qui faisaient de la viande qu’à ceux qui faisaient du lait. Et elle a aussi donné des aides deux fois plus importantes à ceux qui faisaient des bovins-viande plutôt que des moutons-viande. La race Aubrac est la race locale, rustique, qui, avant, faisait les animaux de labour. On l’appelait la vache accordéon parce qu’elle est capable d’adapter sa consommation à l’état de la végétation, ce que des animaux comme le Charolais, vous voyez ces grosses vaches blanches, ne savent pas faire. Aujourd’hui, la race Aubrac est aussi connue pour la fertilité des vaches. La reproduction, ce sont exclusivement des animaux de race pure Aubrac. Ils sont génétiquement sélectionnés. Souvent, les vaches d’ici sont croisées avec le taureau charolais, vous en verrez dans les prés, dans les pâtures de Margeride, ça permet d’avoir des veaux avec un potentiel de croissance un peu plus fort. Voilà le troupeau essentiel de Margeride, la plupart des exploitations sont là-dessus. Le troupeau laitier, lui, s’est réduit d’à peu près la moitié de l’effectif. Aujourd’hui, il doit rester environ 1800 agriculteurs sur la Margeride, dont 4 ou 500 exploitations laitières sur 3000 à peu près. Pour les bovins-viande, 1300 agriculteurs environ en Lozère font des veaux broutards, des veaux de 10 mois exportés pour être engraissés, la plupart du temps, en Italie. Un certain nombre de femelles sont gardées pour faire ce qu’on appelle des génisses de boucherie, du bœuf. Quand la bête est tuée, qu’elle devient de la viande, on appelle ça le bœuf. Tant qu’elle est vivante, on appelle ça une génisse. Les moutons, qui représentaient à peu près 200 000 bêtes, sont aujourd’hui 100 à 150 000. Le troupeau de moutons a subi, lui aussi, une évolution. Ils étaient essentiellement destinés à faire des agneaux pour la viande, mais beaucoup se sont mis à faire du lait avec une production très forte sur la zone géographique du roquefort. On a acquis du potentiel génétique et aujourd’hui, en Margeride, on doit avoir une trentaine de troupeaux qui font du lait de brebis. Il reste quelques troupeaux ovins. Il a fallu que les agriculteurs se spécialisent avec des bâtiments adaptés, alors qu’il n’y avait plus de main-d’œuvre, plus de berger du village. Mais ils se heurtent à une difficulté forte, la présence du loup, parce que ces troupeaux restent dehors la nuit. Quand il fait chaud, c’est la nuit qu’ils arrivent à manger et à consommer convenablement. Aujourd’hui, avec la présence du loup, on est obligé de les rentrer la nuit. On perd énormément de potentiel d’herbe et d’entretien du territoire. Pour les éleveurs, c’est une angoisse permanente. Je ne sais pas s’ils tiendront le coup. Les conditions économiques ne sont pas très bonnes et les formations agricoles n’existent plus. Elles sont toutes faites autour de la vache. Beaucoup commencent à faire de la vente directe sur l’exploitation, des caissettes de viande, des produits transformés. Souvent, ils développent aussi l’accueil à la ferme. C’est une démarche intéressante qui permet aux visiteurs de faire du tourisme intelligent, de découvrir ce qui se passe dans les exploitations. Quelques personnes font des céréales et veulent pouvoir faire panifier. Cela permettra aux minotiers de dire, mon blé vient de tel endroit, il a été fait dans telles conditions de production. Sinon, c’est surtout la culture fourragère. Beaucoup d’exploitations se sont converties au bio, elles ont un signe officiel de qualité grâce à l’appellation Bio. Les derniers chiffres que je connais, on était à 10, 15%, c’est considérable, on était le premier département en surface, mais ce sont des démarches extrêmement lourdes et il faut des volumes relativement conséquents pour les obtenir. Mais on a aussi une difficulté. Les clients bio vont moins vers la boucherie, plutôt vers des produits végétaux et les bouchers ont un peu de mal à ajouter quelques euros à leurs produits. Sur la viande, c’est une démarche idéologique et philosophique. Je ne suis pas sûr qu’il y ait le même effet sur la qualité. Des gens continuent quand même une production bio mais c’est plus une démarche personnelle qu’un souci de rentabilité. Et puis il y a eu des accompagnements de l’Europe très incitatifs dans ce sens. Quand les aides se sont arrêtées, certains ont fait le choix de stopper aussi. Mais, grâce aux surfaces disponibles, on reste sur des élevages extensifs. Il faut noter qu’il y a une féminisation importante des installations, depuis plusieurs années beaucoup de femmes s’installent en agriculture. Et puis il y a les nouveaux venus sur des productions un peu nouvelles. Par exemple, à Langogne sur le marché du samedi matin, j’ai vu évoluer un couple depuis sept ou huit ans. Ils ont démarré avec une petite production maraîchère, toute petite et aujourd’hui, ils fonctionnent très bien. Ils ont lancé une production, qui, sur le territoire, n’existait pas. Il y a beaucoup de prairies naturelles, des prairies de bas-fond avec une diversité floristique tout à fait remarquable. Les enjeux sont très forts, ils impactent la qualité du lait et du fromage avec un goût tout à fait différent. L’autre intérêt de la Margeride est la biodiversité. Énormément de papillons et d’animaux peuvent vivre grâce à cette diversité floristique, aux oiseaux, etc. C’est extrêmement important. Je crains qu’on détériore ce potentiel en faisant du maïs ou autre culture de ce genre, c’est pour ça que c’est important de le mettre en avant, sinon on perdra ce qui fait notre différence. Ce sont souvent des zones humides, certaines ont malheureusement été asséchées, drainées mais maintenant, c’est interdit. La zone humide est très sympathique mais, au niveau agricole, elle est problématique. Elle amène des animaux, lorsque vous fauchez, vous salissez l’herbe qui va être rentrée pour l’hiver et qui va pourrir…