« La peur du virus Ebola est aussi contagieuse que l’épidémie », pouvait-on lire dans le Figaro du 29 juillet 2014. On se pose la même question à propos du Covid-19, qui aurait des effets psychiques identiques alors même que sa mortalité est 60 fois moins élevée que celle du virus Ebola. Une précision préalable: je ne parlerai pas à la place des spécialistes de la contagion virale, de ses effets, de son traitement, de sa prévention, je ne parlerai pas non plus à la place des décideurs politiques, ils prennent leurs responsabilités, et elles sont énormes, pour prendre les décisions qu’ils estiment s’imposer en fonction des données à leur disposition. Mon but est d’amener une contribution en qualité de psychiatre, pour aider à penser dans un contexte qui nous empêche de penser. Tout d’abord, je vous donne mes observations les plus simples : je constate sur le plan collectif, dans ce contexte national et mondial de pandémie, un état de peur généralisée qui se marque à plusieurs niveaux : 1- D’abord par un monoïdéisme, c’est-à-dire ne penser qu’à une seule chose, plus rien n’existe en dehors d’elle, on est obnubilé. Les médias ne nous parlent que du virus, et les émissions les plus intelligentes n’ont qu’un thème quotidien, le virus, avec des spécialistes qui, au fil des jours, finissent par se répéter à tel point que l’on sait avant qu’ils ne parlent ce qu’ils vont dire ; et ce malgré leur compétence et leurs qualité. Il est vrai qu’avec le temps et la déception du tout médical, les émissions redeviennent plus ouvertes, tandis que le déconfinement va, on l’espère, changer la donne. Le monoïdéisme est une idée fixe, ça se soigne sur le plan individuel, comment fait-on sur le plan collectif ? Il est vrai que le virus et l’état d’urgence sanitaire a donné des effets économiques et sociaux sidérants, désastreux et imprévisibles, comme si le remède était plus grave que le mal. Je ne les rappelle pas, nous les connaissons. Et l’équivalent des faillites et du chômage partiel dans un pays pauvre, et/ou qui n’a pas d’état social, c’est la misère et la famine, cette grande tueuse. On dirait que plus rien n’existe dans le monde, alors que la mortalité est sérieuse mais modérée si l’on prend en compte la mortalité globale. Mais la mort est devenue obscène, et certaines morts plus que d’autres, celles qui font peur. La peur de la mort et la peur tout cours prennent toute la place. Le mécanisme général est celui de la contagion émotionnelle. On est passé d’une analyse exclusivement économique de la planète, avec ses effets sociaux-humains souvent désastreux, à une vision exclusivement biologique, montée en épingle, avec ses effets économiques et humains non moins désastreux. 2- Ensuite une phobie sociale, c’est-à-dire la peur omniprésente de l’autre qui peut me contaminer, ou la peur que je ne le contamine, évidente dans la rue, dans les grands magasins et ailleurs. La phobie, ce n’est pas avoir légitiment peur, prendre des précautions, être prudent, regretter qu’il n’y ait pas plus de masques ou de tests : non, c’est une contamination imaginaire par la peur qui prend toute la place et qui nous empêche de penser, d’être présent à ce qui se passe réellement. Cette phobie est validée par les prescriptions sociales indéfiniment réitérées, justifiées sur le plan de la prévention, mais dont la manière de les traiter fait traumatisme et effraction sur le plan psychique. 3- Cette phobie se double d’une paranoïa sociale, elle aussi validée par le social, c’est-à-dire : l’autre est à priori dangereux, il peut me faire du mal par sa faute. C’est les politiques, ici ou là, c’est mon voisin, celui que je croise dans la rue ou dans le magasin qui ne fait pas ce qu’il faut, avec l’augmentation des délations. Si nous sommes en guerre, c’est qu’il y a un ennemi et pas seulement le virus, qui n’y est pour rien, si je puis dire, l’ennemi est humain, individuel et collectif. Là encore, je ne parle pas de la réalité virale ni de son origine, mais de ses effets psychiques. Vivre dans la paranoïa sociale, en sus de la phobie sociale, c’est « serrer les fesses » en permanence, et ce n’est pas bon à la santé. D’où l’achat massif de papier toilette en début de la pandémie…Cette paranoïa est parfois politiquement validée, je ne précise pas. Dans notre pays, chaque décision est attaquée comme un danger pour la vie. Et j’entends qu’il va y avoir des commissions d’enquête sur les insuffisances anciennes, récentes et actuelles du politique en France: si j’étais un politique, j’aurais peur, dans chaque décision, d’être condamné par la suite, et cela ne m’aiderait pas à décider le plus sereinement possible, j’en rajouterais dans le normatif pour ne prendre aucun risque. L’insistance des oppositions politiques et des médias sur les insuffisances de l’Etat en masques, en tests, en décisions dangereuses, va dans ce sens et augment la colère du citoyen. Même s’il y a des éléments évidents de réalité, pourquoi les rabâcher quand on est encore dans la tourmente? Le taux du manque de confiance dans le pouvoir est élevé, mais plutôt que de réfléchir sur comment réussir la reprise scolaire, par exemple, pour redonner confiance, on insiste sur l’insécurité qui, du coup, est renforcée et renforce la peur. - enfin, un point peu connu mais pour moi évident, qui dépasse le niveau de la phobie et de la paranoïa sociale : il y a un mécanisme classique chez les personnes schizophrènes : le syndrome d’influence. Pour le décrire simplement, le sujet a la conviction que les pensées des autres, au dehors de lui, pénètrent en lui, lisent ses pensées, en prennent le controle ; en retour, ses pensées ont un effet direct à l’extérieur de lui : s’il pense que ses neveux vont mourir, il en est persuadé et se fera hospitaliser pour protéger ses neveux, et s’il se masturbe en pensant à une femme, il a la conviction de violer cette femme. Les pensées deviennent des actes dans un espace interindividuel où tout circule sans frontières, sans moi-peau, sans individualité. Il est vrai que nous sommes interconnectés, et pas seulement dans le cyberespace : il y a bel et bien un espace interindividuel, des mécanismes de contagion émotionnelle nocive ou bénéfique entre les humains, et dont on peut se défendre, surtout s’agissant des interactions maléfiques, si l’on en est conscient, qu’on en parle, qu’on y pense rationnellement. Tout se passe comme si cet espace prenait parfois toute la place chez les schizophrènes et… en cas de phénomènes collectifs comme une épidémie de schizophrénie. Tout se passe en effet comme si le virus pouvait pénétrer les personnes indépendamment de la contagiosité virale effective…, par contagiosité psychique. D’où certaines peurs paniques, par moments justifiées du fait d’un contact non protégé avec autrui, selon les règles actuelles, ou sans proximité physique, simplement en contact psychique avec la peur panique du virus qui navigue librement, imaginairement réel dans l’espace interindividuel. Les gestes barrières et le gel hydroalcololique deviennent alors inopérants, ou effectués comme des TOC, à l’excès, dans l’angoisse d’être pénétré…Le rôle des médias est important : parler de la contamination par l’eau du robinet à Paris ou dire que le virus a muté et atteint désormais les enfants, ceci sur de éléments ponctuels, sans instruire correctement le dossier même rapidement, permet l’exacerbation de tous les mécanismes de peur que je viens d’évoquer. 4- Dans ce contexte, le TOCS (troubles obsessionnels compulsifs) prennent beaucoup de place : il y a des patients qui se lavent les mains en permanence, par peur des microbes ; mais en cas de contagion virale ou microbienne, le TOCS sont quasi officiellement prescrits, et la peur les exacerbe et peut, le cas échéant rester après le danger écarté comme une nouvelle donne sociale : les phobies sociales, la paranoïa, les TOCS, la peur diffuse de l’autre et de la mort peuvent s’installer comme un nouvel art de (ne pas) vivre en société… On dirait que l’instinct de mort prédomine, pas seulement pour des questions d’audimat. Je pense aux paroles d’un scientifique en virologie, dans l’émission d’Yves Calvi du 29/04, qui a dit, comme argument pour la prudence sanitaire : « on parle tout de même de millions de morts dans le monde » ; Il avait dit juste avant que le confinement avait évité environ… 40.000 ou 60.000 morts en France. Interrogé par Yves Calvi sur ses chiffres, il se ressaisit et rectifie : « c’était une manière de parler, de dire l’importance… », et il associe sur les 40.000.000 de morts de la grippe espagnole de 1918. C’est un exemple du passage de la banalisation, au départ de l’épidémie, à la dramatisation sanitaire, , un envahissement de la pensée, même chez un scientifique, qui empêche de penser et augmente la contagiosité psychique de ceux qui l’écoutent. Le 6/04, le même expert récidive : Yves Calvi montre la courbe des morts en France qui a une forme en cloche figurant une diminution de l’épidémie vers les bas d’une belle manière : « c’est plutôt une bonne nouvelle, qu’avez-vous comme commentaire », demande le journaliste ? L’expert commente : « espérons que la suite de l’histoire sera aussi bonne », c’est-à-dire qu’il n’envisage que l’hypothèse pessimiste. Pourquoi ? En tous les cas, le fait est là, les médias et des experts médicaux envisage d’une manière prévalente, au moins avant le déconfinement et dans leur majorité, l’hypothèse la plus pessimiste. Certains osent à peine parler, ces derniers jours, de l’hypothèse optimiste du possible caractère saisonnier de l’épidémie. Certes, il y a eu de bonnes choses dans le confinement, la diminution de la pollution, des accidents de voiture, avec des rapprochements familiaux, l’arrêt provisoire de la guerre au Yémen par l’Arabie saoudite, de beaux moments de solidarité ; et aussi des violences familiales, des régimes de dictature qui en ont profité ; et chez nous, il est impressionnant d’observer comment, avec un danger à la base réel, un forme de propagande (pour le bien), on aboutit à l’acceptation d’une mesure généralisée d’assignation à résidence, une sorte de perte momentanée de la liberté démocratique. Après quoi le confinement est autant attendu qu’il fait peur et paralyse, car la peur est toujours là. S’il n’y avait pas eu la longue période de banalisation du départ, compréhensible d’un certain point de vue, on peut penser que l’on aurait pu réaliser un confinement moins dramatisé, plus modulé, adapté aux personnes vulnérables, mais pas universel. Deux points m’impressionnent, pour finir : 1- cette peur de la contagion donne en version majorée des choses que nous connaissons en dehors de la pandémie : un hyperindividualisme, « moi et mes proches en premier, en sécurité, pour prendre mon plaisir », les autres étant tenus à distance grâce à la médiation d’internet ; avec ce climat phobique, un climat paranoïaque et sécuritaire, cela est connu ; et une perte de la vision du grand temps, vivre au jour le jour, au plus loin pensable, les vacances d’été… Il se trouve que j’ai décrit ailleurs tous ces éléments, et quelques autres, comme les effets psychosociaux actuels de la mauvaise précarité (il y a une bonne précarité) tout à fait indépendamment de l’épidémie, bien sûr. Alors, la peur de l’autre observée dans les TGV, pour prendre cet exemple, le fait qu’on ne parle pas à son voisin de train, qu’on ne lui sourit pas, que l’on fasse comme s’il n’existait pas pour nous, serait-ce, à la lumière de l’épidémie actuelle, une peur torpide de la contagiosité interhumaine en période précaire ? 2- l’importance du quantitatif : ce comptage journalier, obsédant, du nombre de morts, à l’unité prés…non rapporté à la mortalité ordinaire. Comme un personnage le dit, dans la Peste de Camus : « il ne nous reste que la comptabilité ». Ce n’est pas beaucoup… Il reste à dire le plus important : comment se défendre contre cette contagiosité psychique ? Ce sera l’objet éventuel d’un prochain texte. Jean Furtos La contagiosité psychique : réflexion sur la peur du Covid-19 « La peur du virus Ebola est aussi contagieuse que l’épidémie », pouvait-on lire dans le Figaro du 29 juillet 2014. On se pose la même question à propos du Covid-19, qui aurait des effets psychiques identiques alors même que sa mortalité est 60 fois moins élevée que celle du virus Ebola. Une précision préalable: je ne parlerai pas à la place des spécialistes de la contagion virale, de ses effets, de son traitement, de sa prévention, je ne parlerai pas non plus à la place des décideurs politiques, ils prennent leurs responsabilités, et elles sont énormes, pour prendre les décisions qu’ils estiment s’imposer en fonction des données à leur disposition. Mon but est d’amener une contribution en qualité de psychiatre, pour aider à penser dans un contexte qui nous empêche de pense. Tout d’abord, je vous donne mes observations les plus simples : je constate sur le plan collectif, dans ce contexte national et mondial de pandémie, un état de peur généralisée qui se marque à plusieurs niveaux : -1-D’abord par un monoïdéisme, c’est-à-dire ne penser qu’à une seule chose, plus rien n’existe en dehors d’elle, on est obnubilé. Les médias ne nous parlent que du virus, et les émissions les plus intelligentes n’ont qu’un thème quotidien, le virus, avec des spécialistes qui, au fil des jours, finissent par se répéter à tel point que l’on sait avant qu’ils ne parlent ce qu’ils vont dire ; et ce malgré leur compétence et leurs qualité. Il est vrai qu’avec le temps et la déception du tout médical, les émissions redeviennent plus ouvertes, tandis que le déconfinement va, on l’espère, changer la donne. Le monoïdéisme est une idée fixe, ça se soigne sur le plan individuel, comment fait-on sur le plan collectif ? Il est vrai que le virus et l’état d’urgence sanitaire a donné des effets économiques et sociaux sidérants, désastreux et imprévisibles, comme si le remède était plus grave que le mal. Je ne les rappelle pas, nous les connaissons. Et l’équivalent des faillites et du chômage partiel dans un pays pauvre, et/ou qui n’a pas d’état social, c’est la misère et la famine, cette grande tueuse. On dirait que plus rien n’existe dans le monde, alors que la mortalité est sérieuse mais modérée si l’on prend en compte la mortalité globale. Mais la mort est devenue obscène, et certaines morts plus que d’autres, celles qui font peur. La peur de la mort et la peur tout cours prennent toute la place. Le mécanisme général est celui de la contagion émotionnelle. On est passé d’une analyse exclusivement économique de la planète, avec ses effets sociaux-humains souvent désastreux, à une vision exclusivement biologique, montée en épingle, avec ses effets économiques et humains non moins désastreux. -2-Ensuite une phobie sociale, c’est-à-dire la peur omniprésente de l’autre qui peut me contaminer, ou la peur que je ne le contamine, évidente dans la rue, dans les grands magasins et ailleurs. La phobie, ce n’est pas avoir légitiment peur, prendre des précautions, être prudent, regretter qu’il n’y ait pas plus de masques ou de tests : non, c’est une contamination imaginaire par la peur qui prend toute la place et qui nous empêche de penser, d’être présent à ce qui se passe réellement. Cette phobie est validée par les prescriptions sociales indéfiniment réitérées, justifiées sur le plan de la prévention, mais dont la manière de les traiter fait traumatisme et effraction sur le plan psychique. -3-Cette phobie se double d’une paranoïa sociale, elle aussi validée par le social, c’est-à-dire : l’autre est à priori dangereux, il peut me faire du mal par sa faute. C’est les politiques, ici ou là, c’est mon voisin, celui que je croise dans la rue ou dans le magasin qui ne fait pas ce qu’il faut, avec l’augmentation des délations. Si nous sommes en guerre, c’est qu’il y a un ennemi et pas seulement le virus, qui n’y est pour rien, si je puis dire, l’ennemi est humain, individuel et collectif. Là encore, je ne parle pas de la réalité virale ni de son origine, mais de ses effets psychiques. Vivre dans la paranoïa sociale, en sus de la phobie sociale, c’est « serrer les fesses » en permanence, et ce n’est pas bon à la santé. D’où l’achat massif de papier toilette en début de la pandémie…Cette paranoïa est parfois politiquement validée, je ne précise pas. Dans notre pays, chaque décision est attaquée comme un danger pour la vie. Et j’entends qu’il va y avoir des commissions d’enquête sur les insuffisances anciennes, récentes et actuelles du politique en France: si j’étais un politique, j’aurais peur, dans chaque décision, d’être condamné par la suite, et cela ne m’aiderait pas à décider le plus sereinement possible, j’en rajouterais dans le normatif pour ne prendre aucun risque. L’insistance des oppositions politiques et des médias sur les insuffisances de l’Etat en masques, en tests, en décisions dangereuses, va dans ce sens et augment la colère du citoyen. Même s’il y a des éléments évidents de réalité, pourquoi les rabâcher quand on est encore dans la tourmente? Le taux du manque de confiance dans le pouvoir est élevé, mais plutôt que de réfléchir sur comment réussir la reprise scolaire, par exemple, pour redonner confiance, on insiste sur l’insécurité qui, du coup, est renforcée et renforce la peur. -enfin, un point peu connu mais pour moi évident, qui dépasse le niveau de la phobie et de la paranoïa sociale : il y a un mécanisme classique chez les personnes schizophrènes : le syndrome d’influence. Pour le décrire simplement, le sujet a la conviction que les pensées des autres, au dehors de lui, pénètrent en lui, lisent ses pensées, en prennent le control ; en retour, ses pensées ont un effet direct à l’extérieur de lui : s’il pense que ses neveux vont mourir, il en est persuadé et se fera hospitaliser pour protéger ses neveux, et s’il se masturbe en pensant à une femme, il a la conviction de violer cette femme. Les pensées deviennent des actes dans un espace interindividuel où tout circule sans frontières, sans moi-peau, sans individualité. Il est vrai que nous sommes interconnectés, et pas seulement dans le cyberespace : il y a bel et bien un espace interindividuel, des mécanismes de contagion émotionnelle nocive ou bénéfique entre les humains, et dont on peut se défendre, surtout s’agissant des interactions maléfiques, si l’on en est conscient, qu’on en parle, qu’on y pense rationnellement. Tout se passe comme si cet espace prenait parfois toute la place chez les schizophrènes et… en cas de phénomènes collectifs comme une épidémie de schizophrénie. Tout se passe en effet comme si le virus pouvait pénétrer les personnes indépendamment de la contagiosité virale effective…, par contagiosité psychique. D’où certaines peurs paniques, par moments justifiées du fait d’un contact non protégé avec autrui, selon les règles actuelles, ou sans proximité physique, simplement en contact psychique avec la peur panique du virus qui navigue librement, imaginairement réel dans l’espace interindividuel. Les gestes barrières et le gel hydroalcololique deviennent alors inopérants, ou effectués comme des TOC, à l’excès, dans l’angoisse d’être pénétré…Le rôle des médias est important : parler de la contamination par l’eau du robinet à Paris ou dire que le virus a muté et atteint désormais les enfants, ceci sur de éléments ponctuels, sans instruire correctement le dossier même rapidement, permet l’exacerbation de tous les mécanismes de peur que je viens d’évoquer. 4-Dans ce contexte, le TOCS (troubles obsessionnels compulsifs) prennent beaucoup de place : il y a des patients qui se lavent les mains en permanence, par peur des microbes ; mais en cas de contagion virale ou microbienne, le TOCS sont quasi officiellement prescrits, et la peur les exacerbe et peut, le cas échéant rester après le danger écarté comme une nouvelle donne sociale : les phobies sociales, la paranoïa, les TOCS, la peur diffuse de l’autre et de la mort peuvent s’installer comme un nouvel art de (ne pas) vivre en société… On dirait que l’instinct de mort prédomine, pas seulement pour des questions d’audimat. Je pense aux paroles d’un scientifique en virologie, dans l’émission d’Yves Calvi du 29/04, qui a dit, comme argument pour la prudence sanitaire : « on parle tout de même de millions de morts dans le monde » ; Il avait dit juste avant que le confinement avait évité environ… 40.000 ou 60.000 morts en France. Interrogé par Yves Calvi sur ses chiffres, il se ressaisit et rectifie : « c’était une manière de parler, de dire l’importance… », et il associe sur les 40.000.000 de morts de la grippe espagnole de 1918.C’est un exemple du passage de la banalisation, au départ de l’épidémie, à la dramatisation sanitaire, , un envahissement de la pensée, même chez un scientifique, qui empêche de penser et augmente la contagiosité psychique de ceux qui l’écoutent. Le 6/04, le même expert récidive : Yves Calvi montre la courbe des morts en Franc qui a une forme en cloche figurant une diminution de l’épidémie vers les bas d’une belle manière : « c’est plutôt une bonne nouvelle, qu’avez-vous comme commentaire », demande le journaliste ? L’expert commente : « espérons que la suite de l’histoire sera aussi bonne », c’est-à-dire qu’il n’envisage que l’hypothèse pessimiste. Pourquoi ? En tous les cas, le fait est là, les médias et des experts médicaux envisage d’une manière prévalente, au moins avant le déconfinement et dans leur majorité, l’hypothèse la plus pessimiste. Certains osent à peine parler, ces derniers jours, de l’hypothèse optimiste du possible caractère saisonnier de l’épidémie. Certes, il y a eu de bonnes choses dans le confinement, la diminution de la pollution, des accidents de voiture, avec des rapprochements familiaux, l’arrêt provisoire de la guerre au Yémen par l’Arabie saoudite, de beaux moments de solidarité ; et aussi des violences familiales, des régimes de dictature qui en ont profité ; et chez nous, il est impressionnant d’observer comment, avec un danger à la base réel, un forme de propagande (pour le bien), on aboutit à l’acceptation d’une mesure généralisée d’assignation à résidence, une sorte de perte momentanée de la liberté démocratique. Après quoi le confinement est autant attendu qu’il fait peur et paralyse, car la peur est toujours là. S’il n’y avait pas eu la longue période de banalisation du départ, compréhensible d’un certain point de vue, on peut penser que l’on aurait pu réaliser un confinement moins dramatisé, plus modulé, adapté aux personnes vulnérables, mais pas universel. Deux points m’impressionnent, pour finir : 1-cette peur de la contagion donne en version majorée des choses que nous connaissons en dehors de la pandémie : un hyperindividualisme, « moi et mes proches en premier, en sécurité, pour prendre mon plaisir », les autres étant tenus à distance grâce à la médiation d’internet ; avec ce climat phobique, un climat paranoïaque et sécuritaire, cela est connu ; et une perte de la vision du grand temps, vivre au jour le jour, au plus loin pensable, les vacances d’été… Il se trouve que j’ai décrit ailleurs tous ces éléments, et quelques autres, comme les effets psychosociaux actuels de la mauvaise précarité (il y a une bonne précarité) tout à fait indépendamment de l’épidémie, bien sûr. Alors, la peur de l’autre observée dans les TGV, pour prendre cet exemple, le fait qu’on ne parle pas à son voisin de train, qu’on ne lui sourit pas, que l’on fasse comme s’il n’existait pas pour nous, serait-ce, à la lumière de l’épidémie actuelle, une peur torpide de la contagiosité interhumaine en période précaire ? 2-l’importance du quantitatif : ce comptage journalier, obsédant, du nombre de morts, à l’unité prés…non rapporté à la mortalité ordinaire. Comme un personnage le dit, dans la Peste de Camus : « il ne nous reste que la comptabilité ». Ce n’est pas beaucoup… Il reste à dire le plus important : comment se défendre contre cette contagiosité psychique ? Ce sera l’objet éventuel d’un prochain texte. Le 11/05/2020 Jean Furtos