Le carbone (C) et l’azote (N) sont nécessaires à la vie. Mais lorsqu’ils se combinent (CN), cela donne le cyanure qui est mortel. Vivre c’est toujours mourir un peu ! Exister c’est se distancer, s’extraire de cette ultime conclusion. Notre intelligence nous extrait de Nature. Mais cette distanciation a un prix, celui de confronter l’humanité à sa propre désolation. L’être humain contribue à la richesse du vivant et, simultanément, à son appauvrissement en détruisant la Nature. Nous existons dans un équilibre précaire avec la Nature. Dans l’horlogerie de la Nature, chaque élément est utile à son bon fonctionnement. L’apparition d’une pandémie est signe d’un déséquilibre environnemental. L’être humain transforme l’environnement avec pour conséquences de dynamiser de nouvelles infections et la circulation de pathogènes qui se répandent entre les espèces et géographiquement. On crée des opportunités pour augmenter la variabilité génétique des pathogènes. De tels processus vont s’amplifier avec les effets des changements climatiques qui bouleversent les écosystèmes. Plus la mondialisation s’intensifie et plus ces pathogènes ont la possibilité de se propager, de se mélanger et d’échanger du matériel génétique ; de devenir mortel pour l’humain. Nos modes alimentaires favorisent également l’apparition de maladies transmises par les animaux. En clair, nos modes de vie dynamisent le potentiel de rencontrer un virus mortel pour l’être humain. L’être humain ne peut pas se protéger de ce qu’il ne connaît pas. Des virus zootiques non identifiés peuvent à tout moment se transmettre de l’animal à l’être humain lorsqu’il y a déséquilibre dans les processus biologiques, telle l’alimentation (se nourrir de viande sauvage), ou écologiques (déforestation par exemple). La mobilité des gens peut engendrer une pandémie. Avec le Covid-19, c’est l’intelligence humaine qui est mise à rude épreuve. La pandémie a suivi les voies commerciales. La Nature a bouleversé les réalisations humaines. Comme les humains, le virus veut proliférer, se reproduire. Et l’humain devient le maillon naturel le plus efficace pour la propagation du virus sur l’ensemble de la planète. Dans la Nature, il est question de temps et d’espace. Or les êtres humains ne font que contracter le temps et réduire l’espace. Il y a confrontation avec le temps géologique et l’espace vital nécessaire entre les humains et les autres formes de vie. Nos civilisations sont centrifuges. Elles nous projettent hors de la Nature. Et nous n’avons pas encore mis en place une réponse centripète qui nous rapproche de la Nature. Nous existons dans une contradiction majeure vis-à-vis de la Nature qui nous est devenue étrangère. C’est ici que la question environnementale prend son sens. Notre main, comme outil, nous a détachés de Nature. Notre intelligence nous a persuadé que l’humanité pouvait se distancer de la Nature. Or, le lien indéfectible qui nous unit à la Nature c’est l’environnement matériel. Cet environnement, visible et invisible, fonctionne sur le temps long comme le cycle de l’eau, du carbone ou de l’azote et des processus quotidiens qui nourrissent les écosystèmes (forêts, étangs, lacs, prairies, etc.). Nous nous sommes organisés dans l’immédiat. On a perdu la perspective temporelle. Protéger l’environnement c’est donner à l’existence une perspective d’avenir. La pandémie a rétréci le temps et l’espace. Elle a contracté le monde qui s’est figé. Et pendant ce moment suspendu, la pollution a diminué globalement, les émissions de gaz à effets de serre se sont considérablement réduites, les vibrations humaines enregistrées par des instruments sismologiques ont chuté, les animaux sauvages se sont aventurés dans les villes désertées, le chant des oiseaux est devenu audible. Cela démontre combien l’impact humain sur la planète est manifeste. Certains parlent de force géologique humaine comme d’une nouvelle ère. L’environnement est la manifestation la plus tangible qui soit. On peut dialoguer avec lui, le transformer, l’enrichir ou l’appauvrir. Mais chacun de nos gestes doit trouver le contre-poids. L’agriculture représente un appauvrissement de la richesse naturelle. Il faut donc recréer de la richesse en diversifiant l’utilisation des sols et en configurant des zones protégées pour favoriser la biodiversité. Nous devons nous tenir dans cet équilibre pour éviter le pire. Atteindre cet équilibre demande des arbitrages. La protection de l’environnement doit être élevée au rang de nécessité vitale, comme la santé et l’alimentation et configurée hors des lois du marché. L’être humain peut et doit changer pour retrouver cet équilibre instable et précaire entre ses aspirations et son environnement. Les Lois de la Nature elles ne changent pas. Nous devons prendre conscience de notre responsabilité par rapport à la Nature que nous percevons comme exogène. Nous sommes partie intégrante du vivant. Nous pouvons créer le cyanure et nous en protéger. La connaissance et notre ingéniosité nous le permettent. Mais ce que nous connaissons n’est que l’infime partie d’un Tout qui nous dépasse. Aujourd’hui encore, notre connaissance du sol est parcellaire. Notre relation aux virus est fragmentaire, notre compréhension du vivant est incomplète. Nous en sommes encore, après plus de 10 000 ans de révolution agricole, à nous interroger sur l’alimentation. Nous avons voulu croire que l’intelligence artificielle, les algorithmes, viendraient nous apporter les réponses pour vivre confortablement et durablement. Un seul virus invisible a mis nos certitudes dans le pétrin. Et il va falloir bien modeler la pâte avant de pouvoir faire du bon pain. Cette pandémie crée la rupture. On passe de l’être-objet, objet de tous nos désirs et fantasmes, à l’être humain, vulnérable et mortel. L’art contemporain magnifie cet objet, comme un arrachement à la Nature et conquête de l’autonomie individuelle. Le virus a rendu flou cette représentation, ce discours artistique, ce récit contemporain de l’objectivation. Ce récit où les êtres humains étaient devenus des choses. Les Grecs ont épuisé toutes les facettes du corps humain et ses postures. La Renaissance y a ajouté l’animation, l’âme. L’art contemporain explique l’infini des ombres humaines sans donner à sa chair l’anima. Et voilà que ce virus fait resurgir cette angoisse primale qui nous anime. Après la peste noire, l’art exprime la douleur, l’horreur, la souffrance, la malédiction. L’après Covid-19 verra-t-il cette noirceur ou, au contraire, stimulera-t-il un renouveau donnant aux sentiments préséance sur la raison et l’objet ? On découvre avec cette pandémie la misère cachée, objectivée en chiffre, statistiques ou courbes. Une misère qui est humaine. L’art contemporain s’est-il emparé de cette misère pour la modeler, la crier, la rejeter ? La pandémie réveille l’empathie, la solidarité, le besoin d’un projet commun, d’un devenir partagé. Elle porte notre regard sur le monde d’hier si inhumain. Elle nous renvoie à nos racines le vivant. Ce que l’art de ce siècle a trop souvent occulté. L’Art est politique, il sert les puissants et l’argent. Mais il a toujours son double qui sournoisement investit la réalité et nos élans émotionnels. À chaque époque ses modes comme ses maladies. L’art contemporain porte un regard multiple sur le réel. Il s’enivre de l’obsolescence de la consommation. Il adore la beauté plastique. Il est multiple et inventif. Il y a même des œuvres éphémères créées hors du champ du modèle économique dominant. Mais dans son ensemble, cet art fige souvent son rapport au réel. Dans un monde en mouvement il raconte l’immédiateté. L’art contemporain comme tout art est l’ombre du monde actuel mis en lumière. Notre monde s’est figé sur des dogmes économiques et financiers qui déshumanisent. De nombreuses œuvres cherchent à transformer les objets et non à peindre l’humanité. L’art contemporain est affirmatif, sûr de lui, presque arrogant. Et pourtant aujourd’hui il (me) paraît obsolète, dérisoire, sans substance. Mais en fait ce n’est pas la création artistique qui est en cause mais son sujet. Nos rêves technologiques font de nous des spectateurs et non des acteurs de la Nature. Nous manifestons cette distance dans l’objectivation. On s’est éloigné de l’humain en poursuivant l’Homme éternel de nos désirs. Mais l’Homme est imaginaire, l’humain est vivant. Peut-être que cette menace mortelle réveille notre puissance créatrice d’humanité. L’Art est la glaise de l’émotion, du vide autant que de la vie. Il ne pourra s’extraire de la sidération face à notre vulnérabilité collective. Esthétique, fluctuant, coloré, logique, répétitif, l’art contemporain est face au virus qui le déstabilise. Cet art revendique sa pensée qui est respectable. Il parle aussi des humains et de la Nature. Mais, peut-être, y avait-il trop de légèreté et d’insouciance à objectiver le monde ? On observe combien la démocratie, les libertés, notre autonomie sont vulnérables et jamais gravées dans la pierre. Qu’en fait, elles sont nos richesses les plus fragiles. Car le vivant a ses Lois qui n’observent pas ces dimensions presque spirituelles de notre vie en commun. Le vivant est efficient et efficace, il a son économie. Nous faisons partie de cette économie du vivant. Mais nous existons aussi, c’est-à-dire que nous avons acquis la capacité de nous extraire, de créer une distance entre nous et la Nature. L’existence est ce paradoxe. Nous existons parce que nous vivons. Cette distanciation a fait de l’être humain la force qui transforme la planète. Les difficultés surgissent lorsque nous nous opposons ou confrontons au vivant, notre source. Les modèles économiques et financiers dominants sont en contradiction avec le vivant et mettent donc nos existences en difficulté, voire en péril. Il ne s’agit pas uniquement de revisiter l’économie, adapter les marchés ou favoriser une transition écologique. L’enjeu est beaucoup plus vaste. Il faut rétablir un équilibre entre la vie et l’existence. C’est un enjeu philosophique. Un seul virus a bouleversé la pensée et nos certitudes philosophiques héritées de l’antiquité grecque. L’Homme n’est pas au-dessus de l’humain. Et pourtant, nous construisons l’humanité avec le ciment des civilisations dont l’objectif est de nous sortir de l’état de nature. Nous avons orchestré le monde qui est représenté par nos vérités fondées sur la perception humaine de la réalité. Nous avons difficilement admis que les animaux pouvaient avoir des traces de conscience, qu’ils sont des formes de vie sensible. Nous sommes toujours dans le déni en ce qui concerne ces traces de conscience chez les plantes car notre conscience et notre raison ne trouvent pas trace de sensibilité ou de perception sensible chez elles. Ce qui n’implique pas que les plantes en soient dépourvues. Sinon, se serait prétendre que ce que nous ne percevons pas n’est pas. Ce qui est radicalement différent de nous est inaccessible à l’esprit humain. Car le vivant dépasse notre entendement. Nous disons que la conscience, c’est la vie vécue par soi-même. Or, nous sommes incapables de concevoir ce qui échappe à notre conscience. Nous restons enfermés dans le « je ». D’où l’énorme difficulté de prendre la vie et non plus l’existence comme source philosophique. Une philosophie de l’être dans le vivant ne porte pas un regard sur ce qui différencie l’être humain des autres formes de vie mais sur ce qui est semblable. La Nature n’a ni objectifs ni d’utilité. Elle est. La reproduction de la vie se déroule au travers de sa complexité. Le Soleil lui fournit l’énergie et la Terre son support vital. Le virus se reproduit en tuant des êtres humains. Son but n’est pas de tuer mais de vivre. Notre civilisation technologique est mortelle comme le virus parce que nous participons tous du vivant. Toute construction humaine, soit-elle matérielle ou spirituelle, est périssable. Le virus vient de nous le rappeler. Le monde d’après sera aussi vulnérable et périssable. Le mythe de notre immortalité grâce à notre intelligence tombe sur deux écueils. D’abord, notre intelligence est nourrie de notre curiosité. Cela implique que nous ne savons pas tout du monde et encore moins de la vie. Ensuite, la technologie est une extension de notre intelligence et donc, ne peut répondre à toute la complexité du vivant puisque nous n’en possédons que la dimension humaine. Or, l’immortalité implique de changer les Lois de la Nature. Le virus a un impact philosophique. La puissance humaine seule ne suffit pas à garantir la pérennité des civilisations. On doit coopérer avec la Nature et s’interroger sur notre place dans le vivant. L’écologie est un premier pas mais trop insuffisant. Comprendre le sens de l’existence demande de clarifier notre relation au vivant. Cela implique notre relation au temps et à l’espace. Et surtout ne pas se persuader que le sensible n’appartient qu’aux humains. Si les humains sont sensibles, c’est que la vie, dans toutes ses manifestations, est sensible. L’humain ne pourrait posséder une qualité qui n’appartient pas à la vie. Pierre Portas : Le carbone (C) et l’azote (N) sont nécessaires à la vie. Mais lorsqu’ils se combinent (CN), cela donne le cyanure qui est mortel. Vivre c’est toujours mourir un peu ! Exister c’est se distancer, s’extraire de cette ultime conclusion. Notre intelligence nous extrait de Nature. Mais cette distanciation a un prix, celui de confronter l’humanité à sa propre désolation. L’être humain contribue à la richesse du vivant et, simultanément, à son appauvrissement en détruisant la Nature. Nous existons dans un équilibre précaire avec la Nature. Dans l’horlogerie de la Nature, chaque élément est utile à son bon fonctionnement. L’apparition d’une pandémie est signe d’un déséquilibre environnemental. L’être humain transforme l’environnement avec pour conséquences de dynamiser de nouvelles infections et la circulation de pathogènes qui se répandent entre les espèces et géographiquement. On crée des opportunités pour augmenter la variabilité génétique des pathogènes. De tels processus vont s’amplifier avec les effets des changements climatiques qui bouleversent les écosystèmes. Plus la mondialisation s’intensifie et plus ces pathogènes ont la possibilité de se propager, de se mélanger et d’échanger du matériel génétique ; de devenir mortel pour l’humain. Nos modes alimentaires favorisent également l’apparition de maladies transmises par les animaux. En clair, nos modes de vie dynamisent le potentiel de rencontrer un virus mortel pour l’être humain. L’être humain ne peut pas se protéger de ce qu’il ne connaît pas. Des virus zootiques non identifiés peuvent à tout moment se transmettre de l’animal à l’être humain lorsqu’il y a déséquilibre dans les processus biologiques, telle l’alimentation (se nourrir de viande sauvage), ou écologiques (déforestation par exemple). La mobilité des gens peut engendrer une pandémie. Avec le Covid-19, c’est l’intelligence humaine qui est mise à rude épreuve. La pandémie a suivi les voies commerciales. La Nature a bouleversé les réalisations humaines. Comme les humains, le virus veut proliférer, se reproduire. Et l’humain devient le maillon naturel le plus efficace pour la propagation du virus sur l’ensemble de la planète. Dans la Nature, il est question de temps et d’espace. Or les êtres humains ne font que contracter le temps et réduire l’espace. Il y a confrontation avec le temps géologique et l’espace vital nécessaire entre les humains et les autres formes de vie. Nos civilisations sont centrifuges. Elles nous projettent hors de la Nature. Et nous n’avons pas encore mis en place une réponse centripète qui nous rapproche de la Nature. Nous existons dans une contradiction majeure vis-à-vis de la Nature qui nous est devenue étrangère. C’est ici que la question environnementale prend son sens. Notre main, comme outil, nous a détachés de Nature. Notre intelligence nous a persuadé que l’humanité pouvait se distancer de la Nature. Or, le lien indéfectible qui nous unit à la Nature c’est l’environnement matériel. Cet environnement, visible et invisible, fonctionne sur le temps long comme le cycle de l’eau, du carbone ou de l’azote et des processus quotidiens qui nourrissent les écosystèmes (forêts, étangs, lacs, prairies, etc.). Nous nous sommes organisés dans l’immédiat. On a perdu la perspective temporelle. Protéger l’environnement c’est donner à l’existence une perspective d’avenir. La pandémie a rétréci le temps et l’espace. Elle a contracté le monde qui s’est figé. Et pendant ce moment suspendu, la pollution a diminué globalement, les émissions de gaz à effets de serre se sont considérablement réduites, les vibrations humaines enregistrées par des instruments sismologiques ont chuté, les animaux sauvages se sont aventurés dans les villes désertées, le chant des oiseaux est devenu audible. Cela démontre combien l’impact humain sur la planète est manifeste. Certains parlent de force géologique humaine comme d’une nouvelle ère. L’environnement est la manifestation la plus tangible qui soit. On peut dialoguer avec lui, le transformer, l’enrichir ou l’appauvrir. Mais chacun de nos gestes doit trouver le contre-poids. L’agriculture représente un appauvrissement de la richesse naturelle. Il faut donc recréer de la richesse en diversifiant l’utilisation des sols et en configurant des zones protégées pour favoriser la biodiversité. Nous devons nous tenir dans cet équilibre pour éviter le pire. Atteindre cet équilibre demande des arbitrages. La protection de l’environnement doit être élevée au rang de nécessité vitale, comme la santé et l’alimentation et configurée hors des lois du marché. L’être humain peut et doit changer pour retrouver cet équilibre instable et précaire entre ses aspirations et son environnement. Les Lois de la Nature elles ne changent pas. Nous devons prendre conscience de notre responsabilité par rapport à la Nature que nous percevons comme exogène. Nous sommes partie intégrante du vivant. Nous pouvons créer le cyanure et nous en protéger. La connaissance et notre ingéniosité nous le permettent. Mais ce que nous connaissons n’est que l’infime partie d’un Tout qui nous dépasse. Aujourd’hui encore, notre connaissance du sol est parcellaire. Notre relation aux virus est fragmentaire, notre compréhension du vivant est incomplète. Nous en sommes encore, après plus de 10 000 ans de révolution agricole, à nous interroger sur l’alimentation. Nous avons voulu croire que l’intelligence artificielle, les algorithmes, viendraient nous apporter les réponses pour vivre confortablement et durablement. Un seul virus invisible a mis nos certitudes dans le pétrin. Et il va falloir bien modeler la pâte avant de pouvoir faire du bon pain. Cette pandémie crée la rupture. On passe de l’être-objet, objet de tous nos désirs et fantasmes, à l’être humain, vulnérable et mortel. L’art contemporain magnifie cet objet, comme un arrachement à la Nature et conquête de l’autonomie individuelle. Le virus a rendu flou cette représentation, ce discours artistique, ce récit contemporain de l’objectivation. Ce récit où les êtres humains étaient devenus des choses. Les Grecs ont épuisé toutes les facettes du corps humain et ses postures. La Renaissance y a ajouté l’animation, l’âme. L’art contemporain explique l’infini des ombres humaines sans donner à sa chair l’anima. Et voilà que ce virus fait resurgir cette angoisse primale qui nous anime. Après la peste noire, l’art exprime la douleur, l’horreur, la souffrance, la malédiction. L’après Covid-19 verra-t-il cette noirceur ou, au contraire, stimulera-t-il un renouveau donnant aux sentiments préséance sur la raison et l’objet ? On découvre avec cette pandémie la misère cachée, objectivée en chiffre, statistiques ou courbes. Une misère qui est humaine. L’art contemporain s’est-il emparé de cette misère pour la modeler, la crier, la rejeter ? La pandémie réveille l’empathie, la solidarité, le besoin d’un projet commun, d’un devenir partagé. Elle porte notre regard sur le monde d’hier si inhumain. Elle nous renvoie à nos racines le vivant. Ce que l’art de ce siècle a trop souvent occulté. L’Art est politique, il sert les puissants et l’argent. Mais il a toujours son double qui sournoisement investit la réalité et nos élans émotionnels. À chaque époque ses modes comme ses maladies. L’art contemporain porte un regard multiple sur le réel. Il s’enivre de l’obsolescence de la consommation. Il adore la beauté plastique. Il est multiple et inventif. Il y a même des œuvres éphémères créées hors du champ du modèle économique dominant. Mais dans son ensemble, cet art fige souvent son rapport au réel. Dans un monde en mouvement il raconte l’immédiateté. L’art contemporain comme tout art est l’ombre du monde actuel mis en lumière. Notre monde s’est figé sur des dogmes économiques et financiers qui déshumanisent. De nombreuses œuvres cherchent à transformer les objets et non à peindre l’humanité. L’art contemporain est affirmatif, sûr de lui, presque arrogant. Et pourtant aujourd’hui il (me) paraît obsolète, dérisoire, sans substance. Mais en fait ce n’est pas la création artistique qui est en cause mais son sujet. Nos rêves technologiques font de nous des spectateurs et non des acteurs de la Nature. Nous manifestons cette distance dans l’objectivation. On s’est éloigné de l’humain en poursuivant l’Homme éternel de nos désirs. Mais l’Homme est imaginaire, l’humain est vivant. Peut-être que cette menace mortelle réveille notre puissance créatrice d’humanité. L’Art est la glaise de l’émotion, du vide autant que de la vie. Il ne pourra s’extraire de la sidération face à notre vulnérabilité collective. Esthétique, fluctuant, coloré, logique, répétitif, l’art contemporain est face au virus qui le déstabilise. Cet art revendique sa pensée qui est respectable. Il parle aussi des humains et de la Nature. Mais, peut-être, y avait-il trop de légèreté et d’insouciance à objectiver le monde ? On observe combien la démocratie, les libertés, notre autonomie sont vulnérables et jamais gravées dans la pierre. Qu’en fait, elles sont nos richesses les plus fragiles. Car le vivant a ses Lois qui n’observent pas ces dimensions presque spirituelles de notre vie en commun. Le vivant est efficient et efficace, il a son économie. Nous faisons partie de cette économie du vivant. Mais nous existons aussi, c’est-à-dire que nous avons acquis la capacité de nous extraire, de créer une distance entre nous et la Nature. L’existence est ce paradoxe. Nous existons parce que nous vivons. Cette distanciation a fait de l’être humain la force qui transforme la planète. Les difficultés surgissent lorsque nous nous opposons ou confrontons au vivant, notre source. Les modèles économiques et financiers dominants sont en contradiction avec le vivant et mettent donc nos existences en difficulté, voire en péril. Il ne s’agit pas uniquement de revisiter l’économie, adapter les marchés ou favoriser une transition écologique. L’enjeu est beaucoup plus vaste. Il faut rétablir un équilibre entre la vie et l’existence. C’est un enjeu philosophique. Un seul virus a bouleversé la pensée et nos certitudes philosophiques héritées de l’antiquité grecque. L’Homme n’est pas au-dessus de l’humain. Et pourtant, nous construisons l’humanité avec le ciment des civilisations dont l’objectif est de nous sortir de l’état de nature. Nous avons orchestré le monde qui est représenté par nos vérités fondées sur la perception humaine de la réalité. Nous avons difficilement admis que les animaux pouvaient avoir des traces de conscience, qu’ils sont des formes de vie sensible. Nous sommes toujours dans le déni en ce qui concerne ces traces de conscience chez les plantes car notre conscience et notre raison ne trouvent pas trace de sensibilité ou de perception sensible chez elles. Ce qui n’implique pas que les plantes en soient dépourvues. Sinon, se serait prétendre que ce que nous ne percevons pas n’est pas. Ce qui est radicalement différent de nous est inaccessible à l’esprit humain. Car le vivant dépasse notre entendement. Nous disons que la conscience, c’est la vie vécue par soi-même. Or, nous sommes incapables de concevoir ce qui échappe à notre conscience. Nous restons enfermés dans le « je ». D’où l’énorme difficulté de prendre la vie et non plus l’existence comme source philosophique. Une philosophie de l’être dans le vivant ne porte pas un regard sur ce qui différencie l’être humain des autres formes de vie mais sur ce qui est semblable. La Nature n’a ni objectifs ni d’utilité. Elle est. La reproduction de la vie se déroule au travers de sa complexité. Le Soleil lui fournit l’énergie et la Terre son support vital. Le virus se reproduit en tuant des êtres humains. Son but n’est pas de tuer mais de vivre. Notre civilisation technologique est mortelle comme le virus parce que nous participons tous du vivant. Toute construction humaine, soit-elle matérielle ou spirituelle, est périssable. Le virus vient de nous le rappeler. Le monde d’après sera aussi vulnérable et périssable. Le mythe de notre immortalité grâce à notre intelligence tombe sur deux écueils. D’abord, notre intelligence est nourrie de notre curiosité. Cela implique que nous ne savons pas tout du monde et encore moins de la vie. Ensuite, la technologie est une extension de notre intelligence et donc, ne peut répondre à toute la complexité du vivant puisque nous n’en possédons que la dimension humaine. Or, l’immortalité implique de changer les Lois de la Nature. Le virus a un impact philosophique. La puissance humaine seule ne suffit pas à garantir la pérennité des civilisations. On doit coopérer avec la Nature et s’interroger sur notre place dans le vivant. L’écologie est un premier pas mais trop insuffisant. Comprendre le sens de l’existence demande de clarifier notre relation au vivant. Cela implique notre relation au temps et à l’espace. Et surtout ne pas se persuader que le sensible n’appartient qu’aux humains. Si les humains sont sensibles, c’est que la vie, dans toutes ses manifestations, est sensible. L’humain ne pourrait posséder une qualité qui n’appartient pas à la vie.