On l’a malheureusement constaté, l’épidémie pose la question de l’inégalité devant la maladie, les soins et les ressources. Parmi les personnes vulnérables et les situations à risque, il y a, on s’en doute, les bébés, les enfants et les adolescents suivis en pédopsychiatrie et leurs familles. Et par ailleurs, cette crise est aussi révélatrice des forces et des faiblesses de notre système de soins. Or la pédopsychiatrie, toutes nos tutelles en conviennent, est dans une situation de tension et cette pandémie n’a pas manqué de le démontrer de nouveau. La plupart des services de pédopsychiatrie se sont adaptés pour faire des suivis ambulatoires au téléphone ou en visioconférence et les hospitalisations se sont recentrées sur les urgences. Mais la hiérarchisation des besoins n’a pas été facile à faire dans une situation de confinement où les tensions intrafamiliales se sont exacerbées parfois et où l’effroyable réalité de la maladie et de la mort a renforcé les fragilités. Plus les enfants en avaient besoin, plus ils devenaient invisibles. On peut citer, les enfants et adolescents qui ont des troubles du neuro-développement et des troubles du spectre autistique qui ont dû rester confinés et pour lesquels les soins à distance ne sont pas toujours efficients, les enfants qui souffrent de troubles de l’attention ou de troubles anxieux, quels qu’ils soient, ceux qui ont des comportements d’opposition… Des adolescents qui ont eu des idées suicidaires ou qui s’automutilaient gravement et que rien ne venait distraire de cette inquiétude vitale, des adolescents schizophrènes qui ne pouvaient accepter les mesures de confinement tellement ils étaient déjà enfermés dans leur maladie ou encore des adolescents qui ont eu des troubles graves du comportement alimentaire et qui sont confrontés aux nouveaux rapports à la nourriture en temps d’épidémie et de confinement avec les parents… Et ces enfants encore plus vulnérables que sont les enfants et adolescents de l’Aide Sociale à l’enfance ou les mineurs non accompagnés (MNA), encore plus lorsqu’ils avaient une souffrance psychique… Nombre de services ont fait des fiches, des guides, pour aider les parents et tous ceux qui sont proches d’eux, pour transmettre le savoir des professionnels à tous ceux qui s’en occupent, ça c’est une avancée qu’il faut garder. Par ailleurs, tous font des suivis à distance ou cherche des modalités de faire mais, le risque est grand. L’enseignement et la recherche ont continué à distance, c’était nécessaire pour que la pédopsychiatrie ne meure pas et continuer à aider ses partenaires sociaux sans qui rien n’est possible. Les soins psychiques aux enfants et adolescents sont forcément collectifs et pluridisciplinaires. Les conséquences psychologiques à long terme de cette situation sont multiples : l’épidémie vécue comme une catastrophe, la solitude des malades, la contagiosité de chacun qui peut transmettre la maladie, la mort qui touche les malades et les plus vulnérables, le deuil des personnes perdues sans que les rituels puissent se faire, ce qui rend les deuils plus difficiles à faire, la distance entre les personnes qui modifient notre manière d’interagir, de se parler, de se rassurer, le bouleversement de la vie scolaire et sociale des enfants et adolescents qui encore aujourd’hui ne vont pas tous à l’école, nécessité absolue pour tous ces enfants et pas seulement pour que leurs parents puissent aller travailler, l’enfermement lié au confinement et bien d’autres paramètres collectifs, familiaux et parfois individuels… Tous ces ingrédients ont des conséquences à moyen et long terme qui sont l’inquiétude et l’insécurité, l’angoisse, la culpabilité, le traumatisme collectif, la perte de confiance dans l’avenir… Et lorsque les situations familiales ou individuelles étaient fragilisées avant la crise, ça augmente encore cette fragilité et ça fait décompenser sur un mode anxieux et dépressif, le plus souvent. À cette vulnérabilité psychologique se rajoute une vulnérabilité sociale et culturelle qui contraint les plus défavorisés à renoncer aux soins car ils n’ont ni l’information, ni les possibilités concrètes de l’accès aux soins (traducteurs, médiateurs…), ni même les conditions concrètes (conditions de vie, transports, garde des enfants…) comme cela se passe pour certaines familles migrantes en grandes difficultés[1]. Pour demain, on peut espérer que les interventions et structures pédopsychiatriques puissent développer plus de liens structurés avec les autres acteurs de la santé mentale, en particulier dans les domaines de la prévention maternelle et infantile (PMI), de la protection de l’enfance (Aide Sociale à l’Enfance), de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de la justice, de l’éducation, du handicap, de l’action sociale, des politiques des loisirs et de la ville, sans oublier la culture. Prendre soin des enfants tout au long du développement et quelques que soient les circonstances dans lesquelles ils vivent et le lieu où ils vivent, prendre soin de leurs parents et encore plus lorsqu’ils n’ont pas de parents qui peuvent le faire et sont en condition de le faire, est une condition de notre humanité. Pour cela on a imaginé avec d’autres qu’il pouvait y avoir un système unifié de l’enfance qui aide l’enfant tout au long de son développement comme le fait la protection maternelle et infantile, comme voudrait le faire la médecine scolaire ou la psychologie de l’éducation nationale qui n’ont aucun moyen pour le faire, comme la médecine universitaire ou celle des lycées techniques qui ont si peu de moyens et n’ont pas vocation à aider tous les lycéens ou étudiants[2]. Pour construire des jours heureux, on doit chercher à construire de nouvelles valeurs, modifier cette hiérarchie des valeurs qui met les soins et encore plus les soins aux petits au bas de l’échelle. On peut compter sur notre résistance vitale individuelle et collective, sur notre capacité à inventer de nouvelles formes de travail, d’organisations, de soins et d’aide sociale au service des enfants et de leurs familles… Et cela nous consolera et restaurera une certaine confiance dans l’avenir, un avenir sur lequel on agit et dans lequel les enfants ont toute leur place. Il nous faut déployer des capacités d’imagination et de rêverie collective pour résister et peut-être, être plus forts (tous ensemble) sans oublier les petits humains. Seule manière de ré-enchanter le monde… [1] Cf. les kits transculturels enfants et adolescents créés par notre équipe pendant le confinement pour aider ces familles migrantes : http://www.mda.aphp.fr/missions/transculturel/ [2] Voir par exemple Moro MR et Brison JL, Bien être et santé des jeunes, O Jacob, 2019. Marie Rose Moro prof. de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Paris, Cheffe de service de la Maison des adolescents de l’Hôpital Cochin, Maison de Solenn On l’a malheureusement constaté, l’épidémie pose la question de l’inégalité devant la maladie, les soins et les ressources. Parmi les personnes vulnérables et les situations à risque, il y a, on s’en doute, les bébés, les enfants et les adolescents suivis en pédopsychiatrie et leurs familles. Et par ailleurs, cette crise est aussi révélatrice des forces et des faiblesses de notre système de soins. Or la pédopsychiatrie, toutes nos tutelles en conviennent, est dans une situation de tension et cette pandémie n’a pas manqué de le démontrer de nouveau. La plupart des services de pédopsychiatrie se sont adaptés pour faire des suivis ambulatoires au téléphone ou en visioconférence et les hospitalisations se sont recentrées sur les urgences. Mais la hiérarchisation des besoins n’a pas été facile à faire dans une situation de confinement où les tensions intrafamiliales se sont exacerbées parfois et où l’effroyable réalité de la maladie et de la mort a renforcé les fragilités. Plus les enfants en avaient besoin, plus ils devenaient invisibles. On peut citer, les enfants et adolescents qui ont des troubles du neuro-développement et des troubles du spectre autistique qui ont dû rester confinés et pour lesquels les soins à distance ne sont pas toujours efficients, les enfants qui souffrent de troubles de l’attention ou de troubles anxieux, quels qu’ils soient, ceux qui ont des comportements d’opposition… Des adolescents qui ont eu des idées suicidaires ou qui s’automutilaient gravement et que rien ne venait distraire de cette inquiétude vitale, des adolescents schizophrènes qui ne pouvaient accepter les mesures de confinement tellement ils étaient déjà enfermés dans leur maladie ou encore des adolescents qui ont eu des troubles graves du comportement alimentaire et qui sont confrontés aux nouveaux rapports à la nourriture en temps d’épidémie et de confinement avec les parents… Et ces enfants encore plus vulnérables que sont les enfants et adolescents de l’Aide Sociale à l’enfance ou les mineurs non accompagnés (MNA), encore plus lorsqu’ils avaient une souffrance psychique… Nombre de services ont fait des fiches, des guides, pour aider les parents et tous ceux qui sont proches d’eux, pour transmettre le savoir des professionnels à tous ceux qui s’en occupent, ça c’est une avancée qu’il faut garder. Par ailleurs, tous font des suivis à distance ou cherche des modalités de faire mais, le risque est grand. L’enseignement et la recherche ont continué à distance, c’était nécessaire pour que la pédopsychiatrie ne meure pas et continuer à aider ses partenaires sociaux sans qui rien n’est possible. Les soins psychiques aux enfants et adolescents sont forcément collectifs et pluridisciplinaires. Les conséquences psychologiques à long terme de cette situation sont multiples : l’épidémie vécue comme une catastrophe, la solitude des malades, la contagiosité de chacun qui peut transmettre la maladie, la mort qui touche les malades et les plus vulnérables, le deuil des personnes perdues sans que les rituels puissent se faire, ce qui rend les deuils plus difficiles à faire, la distance entre les personnes qui modifient notre manière d’interagir, de se parler, de se rassurer, le bouleversement de la vie scolaire et sociale des enfants et adolescents qui encore aujourd’hui ne vont pas tous à l’école, nécessité absolue pour tous ces enfants et pas seulement pour que leurs parents puissent aller travailler, l’enfermement lié au confinement et bien d’autres paramètres collectifs, familiaux et parfois individuels… Tous ces ingrédients ont des conséquences à moyen et long terme qui sont l’inquiétude et l’insécurité, l’angoisse, la culpabilité, le traumatisme collectif, la perte de confiance dans l’avenir… Et lorsque les situations familiales ou individuelles étaient fragilisées avant la crise, ça augmente encore cette fragilité et ça fait décompenser sur un mode anxieux et dépressif, le plus souvent. À cette vulnérabilité psychologique se rajoute une vulnérabilité sociale et culturelle qui contraint les plus défavorisés à renoncer aux soins car ils n’ont ni l’information, ni les possibilités concrètes de l’accès aux soins (traducteurs, médiateurs…), ni même les conditions concrètes (conditions de vie, transports, garde des enfants…) comme cela se passe pour certaines familles migrantes en grandes difficultés . Pour demain, on peut espérer que les interventions et structures pédopsychiatriques puissent développer plus de liens structurés avec les autres acteurs de la santé mentale, en particulier dans les domaines de la prévention maternelle et infantile (PMI), de la protection de l’enfance (Aide Sociale à l’Enfance), de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et de la justice, de l’éducation, du handicap, de l’action sociale, des politiques des loisirs et de la ville, sans oublier la culture. Prendre soin des enfants tout au long du développement et quelques que soient les circonstances dans lesquelles ils vivent et le lieu où ils vivent, prendre soin de leurs parents et encore plus lorsqu’ils n’ont pas de parents qui peuvent le faire et sont en condition de le faire, est une condition de notre humanité. Pour cela on a imaginé avec d’autres qu’il pouvait y avoir un système unifié de l’enfance qui aide l’enfant tout au long de son développement comme le fait la protection maternelle et infantile, comme voudrait le faire la médecine scolaire ou la psychologie de l’éducation nationale qui n’ont aucun moyen pour le faire, comme la médecine universitaire ou celle des lycées techniques qui ont si peu de moyens et n’ont pas vocation à aider tous les lycéens ou étudiants . Pour construire des jours heureux, on doit chercher à construire de nouvelles valeurs, modifier cette hiérarchie des valeurs qui met les soins et encore plus les soins aux petits au bas de l’échelle. On peut compter sur notre résistance vitale individuelle et collective, sur notre capacité à inventer de nouvelles formes de travail, d’organisations, de soins et d’aide sociale au service des enfants et de leurs familles… Et cela nous consolera et restaurera une certaine confiance dans l’avenir, un avenir sur lequel on agit et dans lequel les enfants ont toute leur place. Il nous faut déployer des capacités d’imagination et de rêverie collective pour résister et peut-être, être plus forts (tous ensemble) sans oublier les petits humains. Seule manière de ré-enchanter le monde…