La pandémie Covid19 a ébranlé en quelques semaines le fonctionnement, mais aussi la crédibilité de nombreuses organisations sanitaires et académiques, mettant en lumière les difficultés de nos sociétés à s’adapter aux nouveaux paradigmes qui sous tendent les processus de décision et d’action face à une situation inédite d’incertitude et d’urgence sanitaire. La prise de décision en situation d’incertitude est pourtant un fait courant en médecine, aussi bien à l’échelon individuel que collectif. La pandémie Covid19 a été cependant la scène d’une situation totalement nouvelle, bouleversant les méthodes, les usages, les influences sur ces processus. En premier lieu, l’extrême rapidité d’apparition et de diffusion de la pandémie ne correspondait en rien à la temporalité de la recherche fondamentale, de son transfert à la médecine, de son expérimentation « contrôlée » chez les patients, et de la diffusion de recommandations validées de prise en charge (pour être concrets, on pourrait dire qu’il aurait fallu faire, en moins de 3 mois, ce qui prend en général plus de 3 ans). Le suivi de l’épidémie s’est déroulé en temps réel et a été partagé (!) par toute la planète ; tous les continents, pays, groupes sociaux ont quitté leur rôle habituel de spectateurs pour devenir de possibles acteurs d’un phénomène sanitaire inconnu, considéré selon les jours et les cultures avec déni, fatalité, terreur, espoir... Disons le, l’incertitude en matière sanitaire est de plus en plus difficile à admettre dans nos sociétés : les médias l’ont vite perçu et ont trouvé foule d’ « experts » pour accepter de répondre aux journalistes, avec souvent plus d’assurance que d’arguments. Fait lié au Covid19 ou signe des temps, de nombreux professionnels du monde académique se sont sentis obligés de prendre la parole voire de prendre position, pour beaucoup en l’absence de données observationnelles ou expérimentales – qu’ils auraient peut-être pu analyser dans leurs services et leurs réseaux (?)-. La France, dont on déplorait depuis des lustres la faiblesse en épidémiologie et en santé publique, semblait soudain regorger d’ « épidémiologistes » d’un nouveau genre ne collectant pas, n’analysant pas des données de terrain mais les commentant dans les éditions spéciales Covid des chaînes TV. Entre commentateur et « scientifique » on ne voyait plus vraiment la différence, à tel point que certains journalistes grand public sont devenus la référence scientifique de divers milieux dit avertis : il faut dire que beaucoup d’entre eux avaient choisi de concentrer leurs propos quasi exclusivement sur l’analyse critique des données et des travaux rendus publics par les équipes de Didier Raoult (plusieurs centaines de scientifiques de l’IHU Méditerranée Infection travaillant sur Covid 19, de la clinique au laboratoire) qu’ils tachaient de démonter avec constance et beaucoup d’énergie dès leur publication. Ainsi, durant cette période l’analyse critique de la littérature scientifique a été particulièrement lamentable, se limitant souvent à commenter des press release après avoir parcouru un résumé, et sans rentrer ni dans les données, ... ni les conflits d’intérêts des auteurs. La presse grand public n’a pas été seule dans cet emballement aveugle : le monde académique n’a pas réagi et c’est plus grave (d ‘autant qu’il semblait regorger de défenseurs de « la méthode »), de même que les éditeurs des revues scientifiques qui, semblant s’être passés de la revue par les pairs, ont fait remettre en question la crédibilité de la presse scientifique, du moins en période de crise ... Quant à la contribution des institutions épidémiologiques mondiales, piliers et avant gardes de la surveillance des maladies transmissibles, le constat est tristement affligeant, qu’il s’agisse de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS ) ou des Centers for Diseases Controls ( CDCs) aux USA, pour ne citer qu’eux. Ainsi l’OMS n’a pu être le site mondial de référence de suivi pandémique – un rôle tenu par une Université américaine, John Hopkins à Baltimore, (merci internet !)- . De même, les CDCs ont peu ( !) contribué à protéger les USA d’une énorme vague épidémique qu’ils n’ont pas vu venir et leurs actions ont été très peu contributives, (notamment en distribuant des tests peu valides), eux dont la finesse d’enquête épidémiologique avait contribué à identifier le début de l’épidémie HIV dans la communauté gay de Manhattan, et aussi à décrire la maladie des légionnaires (entre autres réalisations). Le moins qu’on puisse dire est qu’il faudra sérieusement revoir le fonctionnement de telles institutions, sans parler du Centre Européen de Prévention et Contrôle des Maladies (ECDC installé à Stockholm depuis 15 ans) dont l’absence d’intervention dans ce contexte est plus qu’éloquente de son peu d’utilité, du moins en situation de crise... Il est affligeant de constater que les conflits d’intérêts n’ont pas été absents des prises de position en cette période de crise, même en France où une Loi avait été largement consacrée à leur prévention dans la suite de la crise du Médiator (Loi du 29 Décembre 2011 « ...relative à la sécurité sanitaire du médicament », dite Loi Bertrand). Il faut croire que les mœurs évoluent parfois plus lentement ( !) que les textes juridiques, souvent eux même critiqués pour leur lenteur ... Ce fut le cas en France où semblent oubliées ( !??) l’obligation de déclaration des liens d’intérêts avant une intervention publique, la publication des liens d’intérêts de tous les experts, l’abrogation des conclusions de commissions où siègent des experts ayant des conflits d’intérêts etc... Comme si une nouvelle crise sanitaire chassait les décisions vertueuses de la précédente (au grand soulagement de certains...). Evolution des mœurs ? Retour au monde de « bien avant » ? Il est frappant que la presse généraliste, souvent friande de ces informations ait été très silencieuse sur le sujet, sans parler de la presse scientifique, ni de divers « Haut Conseils... ». A un moment où la neutralité des experts aurait été si importante, on a vu nombre de prises de position puis de décisions sous l’ « influence » peut-être de groupes pharmaceutiques mais aussi du suivisme de la pensée dominante du moment qui faisait le « buzz » et pénétrait les esprits. L’histoire de la chloroquine en 2020 est particulièrement éloquente de ces mouvements d’opinion « mainstream » de médecins et scientifiques qui semblaient découvrir un produit prescrit à des millions de personnes et qui devenait « la » molécule dangereuse. Pourquoi ? On se contentera d’hypothèses : parmi celles-ci, il se peut que son usage libéré des brevets des firmes ait pu faire ombrage à des molécules « nouvelles » qui ne demandent qu’à être enregistrées dans l’urgence (sans comparateur tel que la chloroquine) et qui pourraient ensuite « nourrir » (au moins les interventions) de nombre de « key opinion leaders » à travers de multiples études et colloques entièrement sponsorisés, « back to business, as usual ! »? Et la médecine ? Son rôle, depuis Hippocrate, est de nommer la maladie, au XXIe siècle en faisant un test PCR aux patients suspects ! Sur la foi d’un diagnostic documenté, et non pas de symptômes traités à distance par le paracétamol, le médecin prend en charge la personne malade et, devant une maladie contagieuse, l’isole (très vieux principe robuste de prévention des épidémies). Il cherche la meilleure thérapeutique à appliquer avant la survenue de complications et s’appuie sur des critères intermédiaires de jugement pour poursuivre et/ou adapter son traitement. Cela ressemble fort à la pratique développée à l’IHU Méditerranée Infection et, bien sûr, dans de nombreux pays qui ont permis à la médecine de ville, de premier recours, d’agir vite dans la vraie vie ... sans que les familles des patients ne soient contraintes d’appeler un numéro d’urgence pour faire intégrer à leur proche une unité de réanimation. Il n’y a, ni y’avait, certes pas de consensus sur la meilleure thérapeutique mais personne ne peut nier l’utilité pour la prise en charge médicale (et le contrôle de l’épidémie) de rendre accessibles les tests diagnostic et de pratiquer l’isolement des malades (et non pas de tous les cas suspects). Dommage que les multiples conseils scientifiques n’aient pas rendus impératives ces pratiques, comme en Allemagne, plutôt que de suivre le constat (habituel) des administrations sur la difficulté de leur mise en œuvre et de tacher de convaincre qu’on pouvait s’en passer. Il aurait certes fallu mobiliser les fonctionnaires des laboratoires INSERM, CNRS, CEA, Vétérinaires. Eux même, à l’exception des vétérinaires et de quelques rares autres, se sont peu manifestés et se sont finalement satisfaits de l’interdiction de leur contribution opérationnelle : étonnante réaction d’un milieu réputé entreprenant et indépendant. Que dire de leur hiérarchie, qu’on ose imaginer contrainte au silence plutôt qu’indifférente ? Quant à l’opportunité de l’initiation d’une thérapeutique ambulatoire déjà largement utilisée, et sous surveillance du prescripteur, on comprend mal que cette approche n’ait pas été rendue simplement possible. Le praticien est il moins ignorant ni responsable que le spécialiste en méthodologie statistique souvent confondu, à tort, avec un spécialiste de santé publique « de terrain » ? Doit-on continuer à privilégier, pour la prise en charge des situations médicales incertaines, les groupes et organisations qui n’ont aucune pratique ni responsabilité sur le terrain de prise en charge des personnes malades (ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas médecins) ? Espérons que cette crise verra le réveil d’une nouvelle révolution Hippocratique qui rende aux médecins la responsabilité de prise en compte des maladies (bousculant à l’époque de la démocratie Athénienne, le rôle des prêtres et des seigneurs..), en revendiquant l’indépendance de décision face aux influences (c’est d’ailleurs un « devoir » énoncé dans l’article 5 du code de déontologie médicale, « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelle forme que ce soit » article R 4127-5 du Code de Santé Publique). Cette crise peut nous aider à mieux appréhender le futur de la médecine, soutenue par ses valeurs morales fondatrices, mobilisant les connaissances et disciplines scientifiques sur son seul objet, la personne malade. Les organisations sanitaires, au moins en France, pourraient tirer bénéfices d’une profonde réorganisation de la gouvernance de l’action sanitaire (certes, une fois de plus...) mais en intégrant les ressources de la société civile, de la recherche, de la médecine et de l’ingénierie scientifique sous une même responsabilité plus opérationnelle. A ce titre, l’expérience allemande méritera d’être analysée en profondeur, suggérant déjà qu’un commandement démocratique peut être rapidement efficace dans la mobilisation des ressources publiques sans nouvelles couches techno bureaucratiques. Espérons cette évolution pour la France et l’Europe, même si la route peut sembler longue....