Alors que s’est-il passé ? Après tous ces questionnements et ces constats, arrive ainsi le moment où l’on a l’impression de se retrouver face à une montagne infranchissable. Pourquoi avons-nous autant perdu les repères et les piliers fondamentaux qui font la richesse de l’humanité ? Finalement, l’accès à la culture n’a jamais été aussi aisé. On se connecte à la toile et en deux ou trois clics on peut visiter un musée, écouter un concert, regarder un film, visiter une exposition, lire un livre... Mais c’est un leurre... Je crois que les mots du Docteur José Antonio Abreu, pianiste, éducateur, économiste vénézuélien, fondateur du dispositif El Sistema, prix Nobel alternatif en 2002, trouvent aujourd’hui toutes leurs résonances : « Souvent, dans les pays plus avancés, l’excès d’abondance peut produire une sorte d’ennui, de lassitude. La vie perd son sens, son intérêt. […] La surabondance peut souvent être aussi terrible que la plus extrême pauvreté. […] Pour moi, la racine du problème social réside dans l’exclusion. Dans le monde, on voit partout que l’explosion de tel ou tel problème social est due à telle ou telle forme d’exclusion. Alors il faut lutter pour inclure le plus de gens possible, tous, si on peut dans ce magnifique univers : celui de la musique, de l’orchestre, du chant et de l’art. » Et il rajoute : « La musique sublime et développe l’esprit humain. » Comme je l’écrivais plus haut, la surconsommation n’est donc pas synonyme de l’appropriation culturelle. Il faut changer les modes opératoires, les canaux de réflexions, pour que la curiosité sincère retrouve une place centrale dans nos vies. C’est à mon sens l’un des principaux déclencheurs d’un prochain changement. Happés par un déferlement d’informations qui nous empêchent de réfléchir, nous avons perdu la curiosité. La lenteur, la beauté, la poésie ne vont pas avec l’acharnement compulsif de certains à publier toujours plus de vidéos quotidiennement sur internet. À force, les gens n’apprécient plus. Il y a overdose d’informations et cela devient une nouvelle fois contre-productif. Nous ne sommes pas plus heureux pour cela et nous ne rêvons plus. Alors comme l’écrivait Jacques Brel dans ses vœux du 1er janvier 1968, « souhaitons-nous des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns ». « Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier. Je vous souhaite des passions, je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants. Je vous souhaite de respecter les différences des autres, parce que le mérite et la valeur de chacun sont souvent à découvrir. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure et nul de raisonnable ne doit y renoncer sans livrer une rude bataille. Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable ». Vers quoi souhaitons-nous réellement aller ? Brel nous indique en quelques lignes que le rêve, la curiosité, la créativité, l’émerveillement, les passions sont à l’origine du bonheur. Ces notions doivent absolument être centrales. C’est là que la notion de pédagogie prend tout son sens. D’ailleurs, est-elle vraiment éloignée de ce que l’on appelle aujourd’hui vulgairement la « communication » ? Sur certains points, les deux termes trouvent bien sûr de nombreuses similitudes. Pour transmettre un art, il faut communiquer et donc savoir s’exprimer pour faire passer un message. Évidemment, il faut bien avouer que tout cela ne s’apprend pas seulement dans des livres mais se pratique sur le terrain. La pédagogie n’est pas une discipline statique, figée et non évolutive. Bien au contraire. Elle doit constamment se réinventer pour s’adapter au mieux au profil de chacun, dans le but, comme le soulignait Einstein, de donner une « personnalité harmonieuse » aux apprenants. L’autre principe fondateur de la pédagogie dans notre domaine musical – mais il est applicable à bien d’autres – c’est la triangularité de la relation : il y a généralement un parent, un enfant et un professeur. Les trois acteurs doivent communiquer et s’investir à parts égales pour que le résultat de cette collaboration sincère soit le plus efficace possible et adapté à l’élève. Il faut donc que le professeur ait vraiment envie de transmettre, que l’enfant ait vraiment envie d’apprendre et que le parent ait vraiment envie de l’accompagner. C’est la seule condition à la mise en place d’une dynamique positive et à la création d’un cercle vertueux qui, à lui seul, peut soulever des montagnes. Churchill ne disait-il pas très justement : « On vit de ce que l’on obtient. On construit sa vie sur ce que l’on donne. » Si nous nous replaçons dans le contexte de la crise sanitaire que nous traversons, nous nous rendons bien compte qu’il y a eu de nombreux dysfonctionnements passés dans la relation triangulaire entre l’État, les services hospitaliers et les patients. Ces dysfonctionnements sont à peu de choses similaires dans d’autres secteurs comme l’éducation nationale ou la culture. Nous devons en tant qu’artistes et pédagogues déployer tous les efforts possibles pour transmettre notre art avec la plus grande passion et sincérité, ainsi l’élève se sentira reconnu, encouragé, soutenu et le parent capable de grimper la montagne avec nous. Et pour cela, quoi de mieux qu’une pédagogie collective ? Apprendre la musique dans un ensemble instrumental, un petit orchestre, une petite formation ? C’était le pari du Dr José Antonio Abreu au Venezuela et on peut dire qu’il a été remporté haut la main. L’élève se sent alors considéré au cœur même d’un projet commun porteur de satisfaction auprès des parents, du public et des institutions. La boucle est bouclée. Chaque acteur d’un dispositif doit donc prendre sa part. L’État doit absolument mesurer tout l’enjeu et l’importance d’un investissement culturel mais au-delà pédagogique et éducatif afin d’insuffler une dynamique créative chez les prochaines générations. Le monde politique est aujourd’hui beaucoup trop morcelé par un calendrier électoral toujours plus complexe qui ne permet pas d’obtenir une visibilité à moyen et long terme. Mais avant ces contraintes temporelles et organisationnelles, il s’agit surtout d’une question de volonté. D’un choix. Le monde de la culture est très inventif. C’est vrai. Mais ce n’est pas le seul. Il peut se réinventer, trouver des solutions pour changer, avancer, évoluer. Mais cela ne sera envisageable que dans cette fameuse relation triangulaire entre l’État, le milieu culturel artistique éducatif et les usagers. Pour réussir les mutations inévitables de notre société, il faut assurément être beaucoup plus volontariste. Il faut être beaucoup plus volontariste et je ne résiste pas à citer une nouvelle fois Churchill, homme d’État respecté mais également prix Nobel de littérature : « Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur. » Que pouvons-nous faire ? Bien sûr certains dispositifs existent déjà mais ne sont pas suffisamment généralisés. Nous devons éduquer, passionner, faire rêver le public ou nos élèves. Il faut donc allumer en eux le plus d’étincelles possible. Les salles de concert manquent cruellement de jeunes générations car tout le système les pousse à croire que la musique classique ou bien plus largement tout ce qui n’est pas diffusé à la télévision à heure de grande écoute n’est pas fait pour eux. C’est faux. Il faut d’urgence que les responsables de saisons culturelles, les directeurs de théâtres subventionnés multiplient leurs interventions auprès des plus jeunes en les sensibilisant à la culture. Les jauges des plus grandes salles de spectacles ne sont pas toujours pleines. Avec l’expérience de gestion, un théâtre ou une salle de spectacle peut approximativement savoir combien de places vont rester inoccupées quelques jours avant les représentations. Il faut qu’elles soient redistribuées dans les écoles, collèges, lycées, à tour de rôle et selon les contraintes logistiques territoriales. C’est faisable et cela ne coûte presque rien. Tout au plus quelques échanges et réunions. Je parle ici de situations vécues et bien sûr des théâtres subventionnés qui perçoivent des financements publics. Une fois que le concert est programmé et que le budget prévisionnel est validé, si l’on se rend compte que le remplissage de la salle n’est pas à la hauteur de ce qui était escompté, plutôt que de faire jouer un artiste devant une salle à moitié pleine... Il y a urgence à sensibiliser d’autres publics. Je parle ici de situations vécues en tant que spectateur dans les plus grandes institutions. Il en va de même pour celles vécues en tant que musicien. Il nous arrive très souvent d’entendre que « toute la communication a été faite » mais que le public tarde à se manifester. Là encore, quelles solutions ? C’est malheureusement très souvent synonyme d’un angle d’approche perfectible, d’une mauvaise anticipation des calendriers mais surtout de cette fameuse relation triangulaire. Dans tous les lieux où nous nous sommes produits, lorsque la salle est pleine à craquer, c’est que le programmateur a su depuis des années établir une relation de confiance avec son public, en le fidélisant grâce à ses choix, ses audaces, et la curiosité avec laquelle il confectionne sa programmation. Le travail de l’artiste peut alors être valorisé et... la boucle est bouclée ! Une nouvelle fois, la passion du programmateur, l’engagement des artistes et la curiosité du public permettent alors de donner tous les ingrédients d’un moment culturel épanoui, positif et fructueux. Bien sûr la période que nous traversons ne permet pas encore de déployer ces dispositifs mais il faut pouvoir les anticiper pour qu’ils soient efficaces le moment venu. L’homme a su au fil des siècles se réinventer parce qu’il a formé et transmis aux jeunes générations ses compétences et son savoir. Nous allons donc réussir nous aussi. Mais une fois la prise de conscience faite, il faut se retrousser les manches et agir. C’est d’ailleurs tout le sens de l’incroyable et magnifique dynamique proposée par les éditions Parole durant le confinement. Du côté pédagogique, les conservatoires ou institutions de l’enseignement musical en France doivent absolument se réinventer pour optimiser leur réseau et pérenniser leurs actions. Une réflexion en ce sens a déjà été engagée par la Direction générale de la Création artistique et de nombreux débats ont eu lieu ou sont en cours. Nos établissements doivent pouvoir former l’élite artistique de demain tout en sensibilisant le plus grand nombre à l’Art. Là encore, ce n’est pas forcément un problème de tarification mais surtout un problème de communication, de choix et de positionnement. Les actions engagées auprès du public ne sont pas toujours visibles ou comprises, les programmes ou pédagogies utilisées pas systématiquement optimisées notamment auprès des plus jeunes. Il faut encore une fois tout mettre en œuvre pour amener les jeunes artistes musiciens en herbe à vivre une expérience positive et épanouissante de la musique par l’imprégnation, l’écoute, le partage. Aujourd’hui, nous avons trop tendance à fonctionner à l’envers sur le plan éducatif. Les données théoriques arrivent bien trop tôt chez les plus jeunes ne leur laissant pas le temps de s’immerger, de goûter, de déguster. Obnubilés par les objectifs à atteindre, les moyens pour y arriver ne sont pas toujours les bons faute de temps, faute de communication aussi. La pédagogie doit favoriser la découverte positive et l’expérience constructive. Les données théoriques doivent arriver dans un second temps. C’est une évidence. On parle souvent de la musique comme d’un langage universel. Lorsqu’un enfant apprend à parler, il le fait par mimétisme, parce qu’il écoute le chant de la langue maternelle. Il ne le fait pas parce qu’il connaît les règles grammaticales du passé du subjonctif. Cela ne lui sert à rien. Il en va de même pour l’initiation aux mathématiques, à la géométrie. Les Japonais l’ont très bien compris, et depuis très longtemps avec leur méthode Suzuki. Pour l’apprentissage de la lecture, c’est la même chose. Un enfant aura envie de lire si la lecture a été valorisée par son entourage et non parce que l’on va lui dire « il faut que tu lises ce livre ». Mais dans tous les cas, il ne lira qu’après avoir appris à parler et non en même temps... C’est tout l’enjeu qui attend la refonte d’une pédagogie musicale toujours plus performante et adaptée aux enjeux de notre société. Il faut passionner, intéresser, rendre curieux. Le déluge de données théoriques est là encore contre-productif mais pour vaincre cela, le système dans son ensemble doit être repensé, les cours réorganisés et les modalités aménagées. C’est l’une des seules conditions pour que l’enfant ait ensuite envie de découvrir de nouvelles choses : la curiosité. Et la boucle est bouclée ! Vers la musique du bonheur. Le défi face auquel nous nous trouvons n’a peut-être que rarement été aussi grand, aussi vertigineux, mais ô combien essentiel et urgent. Ainsi, toutes les bonnes volontés doivent absolument être encouragées, soutenues et valorisées pour que dans un élan collectif nous puissions tous ensemble ressortir plus forts de la période que nous traversons. « Il n’y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat », écrivait Jean-Jacques Rousseau. Essayons ensemble d’entrer dans un tourbillon positif qui fourmille d’idées et qui noue permettra assurément d’enclencher la musique du bonheur. Alors que s’est-il passé ? Après tous ces questionnements et ces constats, arrive ainsi le moment où l’on a l’impression de se retrouver face à une montagne infranchissable. Pourquoi avons-nous autant perdu les repères et les piliers fondamentaux qui font la richesse de l’humanité ? Finalement, l’accès à la culture n’a jamais été aussi aisé. On se connecte à la toile et en deux ou trois clics on peut visiter un musée, écouter un concert, regarder un film, visiter une exposition, lire un livre... Mais c’est un leurre... Je crois que les mots du Docteur José Antonio Abreu, pianiste, éducateur, économiste vénézuélien, fondateur du dispositif El Sistema, prix Nobel alternatif en 2002, trouvent aujourd’hui toutes leurs résonances : « Souvent, dans les pays plus avancés, l’excès d’abondance peut produire une sorte d’ennui, de lassitude. La vie perd son sens, son intérêt. […] La surabondance peut souvent être aussi terrible que la plus extrême pauvreté. […] Pour moi, la racine du problème social réside dans l’exclusion. Dans le monde, on voit partout que l’explosion de tel ou tel problème social est due à telle ou telle forme d’exclusion. Alors il faut lutter pour inclure le plus de gens possible, tous, si on peut dans ce magnifique univers : celui de la musique, de l’orchestre, du chant et de l’art. » Et il rajoute : « La musique sublime et développe l’esprit humain. » Comme je l’écrivais plus haut, la surconsommation n’est donc pas synonyme de l’appropriation culturelle. Il faut changer les modes opératoires, les canaux de réflexions, pour que la curiosité sincère retrouve une place centrale dans nos vies. C’est à mon sens l’un des principaux déclencheurs d’un prochain changement. Happés par un déferlement d’informations qui nous empêchent de réfléchir, nous avons perdu la curiosité. La lenteur, la beauté, la poésie ne vont pas avec l’acharnement compulsif de certains à publier toujours plus de vidéos quotidiennement sur internet. À force, les gens n’apprécient plus. Il y a overdose d’informations et cela devient une nouvelle fois contre-productif. Nous ne sommes pas plus heureux pour cela et nous ne rêvons plus. Alors comme l’écrivait Jacques Brel dans ses vœux du 1er janvier 1968, « souhaitons-nous des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns ». « Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et d’oublier ce qu’il faut oublier. Je vous souhaite des passions, je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants. Je vous souhaite de respecter les différences des autres, parce que le mérite et la valeur de chacun sont souvent à découvrir. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence et aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite enfin de ne jamais renoncer à la recherche, à l’aventure, à la vie, à l’amour, car la vie est une magnifique aventure et nul de raisonnable ne doit y renoncer sans livrer une rude bataille. Je vous souhaite surtout d’être vous, fier de l’être et heureux, car le bonheur est notre destin véritable ». Vers quoi souhaitons-nous réellement aller ? Brel nous indique en quelques lignes que le rêve, la curiosité, la créativité, l’émerveillement, les passions sont à l’origine du bonheur. Ces notions doivent absolument être centrales. C’est là que la notion de pédagogie prend tout son sens. D’ailleurs, est-elle vraiment éloignée de ce que l’on appelle aujourd’hui vulgairement la « communication » ? Sur certains points, les deux termes trouvent bien sûr de nombreuses similitudes. Pour transmettre un art, il faut communiquer et donc savoir s’exprimer pour faire passer un message. Évidemment, il faut bien avouer que tout cela ne s’apprend pas seulement dans des livres mais se pratique sur le terrain. La pédagogie n’est pas une discipline statique, figée et non évolutive. Bien au contraire. Elle doit constamment se réinventer pour s’adapter au mieux au profil de chacun, dans le but, comme le soulignait Einstein, de donner une « personnalité harmonieuse » aux apprenants. L’autre principe fondateur de la pédagogie dans notre domaine musical – mais il est applicable à bien d’autres – c’est la triangularité de la relation : il y a généralement un parent, un enfant et un professeur. Les trois acteurs doivent communiquer et s’investir à parts égales pour que le résultat de cette collaboration sincère soit le plus efficace possible et adapté à l’élève. Il faut donc que le professeur ait vraiment envie de transmettre, que l’enfant ait vraiment envie d’apprendre et que le parent ait vraiment envie de l’accompagner. C’est la seule condition à la mise en place d’une dynamique positive et à la création d’un cercle vertueux qui, à lui seul, peut soulever des montagnes. Churchill ne disait-il pas très justement : « On vit de ce que l’on obtient. On construit sa vie sur ce que l’on donne. » Si nous nous replaçons dans le contexte de la crise sanitaire que nous traversons, nous nous rendons bien compte qu’il y a eu de nombreux dysfonctionnements passés dans la relation triangulaire entre l’État, les services hospitaliers et les patients. Ces dysfonctionnements sont à peu de choses similaires dans d’autres secteurs comme l’éducation nationale ou la culture. Nous devons en tant qu’artistes et pédagogues déployer tous les efforts possibles pour transmettre notre art avec la plus grande passion et sincérité, ainsi l’élève se sentira reconnu, encouragé, soutenu et le parent capable de grimper la montagne avec nous. Et pour cela, quoi de mieux qu’une pédagogie collective ? Apprendre la musique dans un ensemble instrumental, un petit orchestre, une petite formation ? C’était le pari du Dr José Antonio Abreu au Venezuela et on peut dire qu’il a été remporté haut la main. L’élève se sent alors considéré au cœur même d’un projet commun porteur de satisfaction auprès des parents, du public et des institutions. La boucle est bouclée. Chaque acteur d’un dispositif doit donc prendre sa part. L’État doit absolument mesurer tout l’enjeu et l’importance d’un investissement culturel mais au-delà pédagogique et éducatif afin d’insuffler une dynamique créative chez les prochaines générations. Le monde politique est aujourd’hui beaucoup trop morcelé par un calendrier électoral toujours plus complexe qui ne permet pas d’obtenir une visibilité à moyen et long terme. Mais avant ces contraintes temporelles et organisationnelles, il s’agit surtout d’une question de volonté. D’un choix. Le monde de la culture est très inventif. C’est vrai. Mais ce n’est pas le seul. Il peut se réinventer, trouver des solutions pour changer, avancer, évoluer. Mais cela ne sera envisageable que dans cette fameuse relation triangulaire entre l’État, le milieu culturel artistique éducatif et les usagers. Pour réussir les mutations inévitables de notre société, il faut assurément être beaucoup plus volontariste. Il faut être beaucoup plus volontariste et je ne résiste pas à citer une nouvelle fois Churchill, homme d’État respecté mais également prix Nobel de littérature : « Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur. » Que pouvons-nous faire ? Bien sûr certains dispositifs existent déjà mais ne sont pas suffisamment généralisés. Nous devons éduquer, passionner, faire rêver le public ou nos élèves. Il faut donc allumer en eux le plus d’étincelles possible. Les salles de concert manquent cruellement de jeunes générations car tout le système les pousse à croire que la musique classique ou bien plus largement tout ce qui n’est pas diffusé à la télévision à heure de grande écoute n’est pas fait pour eux. C’est faux. Il faut d’urgence que les responsables de saisons culturelles, les directeurs de théâtres subventionnés multiplient leurs interventions auprès des plus jeunes en les sensibilisant à la culture. Les jauges des plus grandes salles de spectacles ne sont pas toujours pleines. Avec l’expérience de gestion, un théâtre ou une salle de spectacle peut approximativement savoir combien de places vont rester inoccupées quelques jours avant les représentations. Il faut qu’elles soient redistribuées dans les écoles, collèges, lycées, à tour de rôle et selon les contraintes logistiques territoriales. C’est faisable et cela ne coûte presque rien. Tout au plus quelques échanges et réunions. Je parle ici de situations vécues et bien sûr des théâtres subventionnés qui perçoivent des financements publics. Une fois que le concert est programmé et que le budget prévisionnel est validé, si l’on se rend compte que le remplissage de la salle n’est pas à la hauteur de ce qui était escompté, plutôt que de faire jouer un artiste devant une salle à moitié pleine... Il y a urgence à sensibiliser d’autres publics. Je parle ici de situations vécues en tant que spectateur dans les plus grandes institutions. Il en va de même pour celles vécues en tant que musicien. Il nous arrive très souvent d’entendre que « toute la communication a été faite » mais que le public tarde à se manifester. Là encore, quelles solutions ? C’est malheureusement très souvent synonyme d’un angle d’approche perfectible, d’une mauvaise anticipation des calendriers mais surtout de cette fameuse relation triangulaire. Dans tous les lieux où nous nous sommes produits, lorsque la salle est pleine à craquer, c’est que le programmateur a su depuis des années établir une relation de confiance avec son public, en le fidélisant grâce à ses choix, ses audaces, et la curiosité avec laquelle il confectionne sa programmation. Le travail de l’artiste peut alors être valorisé et... la boucle est bouclée ! Une nouvelle fois, la passion du programmateur, l’engagement des artistes et la curiosité du public permettent alors de donner tous les ingrédients d’un moment culturel épanoui, positif et fructueux. Bien sûr la période que nous traversons ne permet pas encore de déployer ces dispositifs mais il faut pouvoir les anticiper pour qu’ils soient efficaces le moment venu. L’homme a su au fil des siècles se réinventer parce qu’il a formé et transmis aux jeunes générations ses compétences et son savoir. Nous allons donc réussir nous aussi. Mais une fois la prise de conscience faite, il faut se retrousser les manches et agir. C’est d’ailleurs tout le sens de l’incroyable et magnifique dynamique proposée par les éditions Parole durant le confinement. Du côté pédagogique, les conservatoires ou institutions de l’enseignement musical en France doivent absolument se réinventer pour optimiser leur réseau et pérenniser leurs actions. Une réflexion en ce sens a déjà été engagée par la Direction générale de la Création artistique et de nombreux débats ont eu lieu ou sont en cours. Nos établissements doivent pouvoir former l’élite artistique de demain tout en sensibilisant le plus grand nombre à l’Art. Là encore, ce n’est pas forcément un problème de tarification mais surtout un problème de communication, de choix et de positionnement. Les actions engagées auprès du public ne sont pas toujours visibles ou comprises, les programmes ou pédagogies utilisées pas systématiquement optimisées notamment auprès des plus jeunes. Il faut encore une fois tout mettre en œuvre pour amener les jeunes artistes musiciens en herbe à vivre une expérience positive et épanouissante de la musique par l’imprégnation, l’écoute, le partage. Aujourd’hui, nous avons trop tendance à fonctionner à l’envers sur le plan éducatif. Les données théoriques arrivent bien trop tôt chez les plus jeunes ne leur laissant pas le temps de s’immerger, de goûter, de déguster. Obnubilés par les objectifs à atteindre, les moyens pour y arriver ne sont pas toujours les bons faute de temps, faute de communication aussi. La pédagogie doit favoriser la découverte positive et l’expérience constructive. Les données théoriques doivent arriver dans un second temps. C’est une évidence. On parle souvent de la musique comme d’un langage universel. Lorsqu’un enfant apprend à parler, il le fait par mimétisme, parce qu’il écoute le chant de la langue maternelle. Il ne le fait pas parce qu’il connaît les règles grammaticales du passé du subjonctif. Cela ne lui sert à rien. Il en va de même pour l’initiation aux mathématiques, à la géométrie. Les Japonais l’ont très bien compris, et depuis très longtemps avec leur méthode Suzuki. Pour l’apprentissage de la lecture, c’est la même chose. Un enfant aura envie de lire si la lecture a été valorisée par son entourage et non parce que l’on va lui dire « il faut que tu lises ce livre ». Mais dans tous les cas, il ne lira qu’après avoir appris à parler et non en même temps... C’est tout l’enjeu qui attend la refonte d’une pédagogie musicale toujours plus performante et adaptée aux enjeux de notre société. Il faut passionner, intéresser, rendre curieux. Le déluge de données théoriques est là encore contre-productif mais pour vaincre cela, le système dans son ensemble doit être repensé, les cours réorganisés et les modalités aménagées. C’est l’une des seules conditions pour que l’enfant ait ensuite envie de découvrir de nouvelles choses : la curiosité. Et la boucle est bouclée ! Vers la musique du bonheur. Le défi face auquel nous nous trouvons n’a peut-être que rarement été aussi grand, aussi vertigineux, mais ô combien essentiel et urgent. Ainsi, toutes les bonnes volontés doivent absolument être encouragées, soutenues et valorisées pour que dans un élan collectif nous puissions tous ensemble ressortir plus forts de la période que nous traversons. « Il n’y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat », écrivait Jean-Jacques Rousseau. Essayons ensemble d’entrer dans un tourbillon positif qui fourmille d’idées et qui noue permettra assurément d’enclencher la musique du bonheur.