Quand j’ai été sollicitée pour écrire dans le petit carnet « Parole », je me suis demandé ce que je pouvais avoir à dire, moi, qui ne suis ni intellectuelle, ni médecin, ni journaliste, mais une simple citoyenne, professeur des écoles à la retraite, qui ai été engagée tout au long de sa vie en tant que syndicaliste, qui ai toujours été convaincue que l’École avait un rôle fondamental de socialisation des enfants, en plus d’être un lieu d’apprentissage. Et c’est parce que ma colère grandit d’entendre parler du monde futur au moment où l’on transforme les enfants en otages dociles d’adultes apeurés, que je veux prendre la parole. Cela fait plus de deux mois que nous sommes tous confinés, enfermés dans nos quatre murs, pour certains avec un jardin et de l’espace, mais pour d’autres, la promiscuité, une gestion du quotidien bien difficile et parfois la violence en prime. Pour protéger les plus âgés, toute la population s’est enfermée, obéissant aux injonctions des politiques et des experts. Il fallait sûrement le faire pendant ces deux mois. Les enfants et les adolescents, peu touchés par le Covid, se sont vus infliger cet enfermement avec la fermeture brutale des écoles, des collèges, des lycées. Alors qu’ils ont l’âge de se tourner vers la vie et le futur, on les a privés de tout ce qui, avant, faisait leur vie sociale. On les a renvoyés à leurs écrans, pour ceux qui en ont, alors que quelques semaines avant, on débattait sans fin du danger de ces mêmes écrans pour les jeunes. Danger devenu d’un coup négligeable face au Covid. La télé, les radios assènent, à longueur de journée, des messages de mort, d’angoisse, faisant peser sur leurs épaules la responsabilité d’une possible transmission à leurs parents et grands-parents du Covid de la mort, sans même leur donner l’occasion d’en parler avec leurs copains et copines. Enfin, le « déconfinement » a été annoncé pour le 11 mai, la vie allait reprendre, à petits pas. Nous allions retrouver une certaine liberté, et les enfants, l’école dont on avait tant vanté l’importance pendant ces semaines de confinement. Mais non, pas trop vite ! Masques, plus ou moins obligatoires, mais plutôt conseillés, lavages de mains et désinfection à tout va. On commence par ceux qui travaillent, qui vont prendre chaque jour les transports en commun. Il semble que, pour eux, ce n’est pas trop risqué ! En tout cas, les spécialistes des protocoles ne s’étendent pas trop sur le sujet. Tenez vos distances, mettez un masque et tout ira bien ! Et les enfants, dans tout ça ? Sont-ils dangereux ? pour eux-mêmes ? pour les autres ? Les experts semblent d’accord pour dire qu’ils ne risquent pas grand-chose, ni pour eux-mêmes et ni pour les autres à qui ils transmettraient peu le Covid. Pour autant, il faut presque 60 pages de consignes pour organiser leur accueil à l’école. Pas de contact entre eux ; en face d’eux, des adultes masqués ; pas de jeux dans la cour ; désinfection à tout va du matériel, des tables, des chaises, des salles de classe et des toilettes et lavage des mains, encore et encore… Chacun, enseignants, maires, responsables de l’Éducation, en rajoute au gré de son interprétation, de son imagination et de ses angoisses personnelles, limitant de fait l’accueil des enfants : ici, pas plus de cinq enfants à la fois, là des carrés tracés au sol dans lesquels les enfants doivent rester pendant la récréation, et ailleurs un contrat que les parents doivent signer, après avoir lu le protocole, pour bien montrer qu’ils acceptent en toute connaissance de cause, les risques majeurs qu’ils prennent en mettant leur enfant à l’école ! Bref, on a ainsi identifié les parents qui, malgré tous ces obstacles, mettant les enfants à l’école, sont bien irresponsables ! Pourtant, les enfants de soignants et de salariés, obligés de travailler pendant le confinement, ont été accueillis à l’école, sans protocole si restrictif, pendant deux mois. Et il n’y a pas eu de catastrophe sanitaire. Pourtant, nombreux sont les spécialistes de l’enfance, pédiatres, pédo-psychiatres, qui expliquent qu’il est urgent que tous les enfants reprennent le chemin de l’École, d’une école bienveillante, d’une école accueillante, d’une école vivante. Et ce qu’on propose aux enfants, c’est une école mortifère, angoissante, stigmatisante, quand ils peuvent y aller. Et pour tous les autres ? Ils doivent rester chez eux, sans toujours la possibilité d’aller jouer dans un jardin public où, quand ils y ont accès, les toboggans et les balançoires sont condamnés par de la rubalise pour qu’ils ne puissent surtout pas accéder à ces jeux soudainement devenus porteurs des malheurs qui pourraient les atteindre. Comment ne pas mesurer les risques limités que représente l’école pour les enfants, au regard des dégâts psychologiques et affectifs que cet isolement va entraîner ? Comment les responsables de l’éducation nationale, les organisations syndicales d’enseignants en sont-ils arrivés à produire des règles qui dénaturent les fondements mêmes du métier d’enseignant, oubliant que la mission première des enseignants et des personnels des écoles est d’accompagner les enfants dans les apprentissages scolaires et sociaux. Comment certains enseignants en sont-ils arrivés à ne voir les enfants que comme des dangereux porteurs du Covid, oubliant qu’ils sont la raison d’être de la mission que la Nation leur a confiée ? Est-ce vraiment ce monde que nous voulons pour les plus jeunes ? Bien sûr, il va falloir vivre avec le Covid, comme on vit avec la grippe, comme beaucoup vivent avec la dengue ou d’autres épidémies et comme on vit, tous les jours, avec tous les risques inhérents à la vie que sont les accidents et les maladies. Oui, il arrive que la mort frappe, le plus souvent les plus âgés et les malades et parfois les plus jeunes. Rien de nouveau à cela. Certains avaient pensé, à tort, que la science et la technique permettraient d’y échapper dans les pays les plus riches. Oui, il faut continuer à vivre et il continuera d’y avoir des morts du Covid ou d’autre chose. Oui, il va falloir prendre les précautions indispensables, raisonnables pour éviter une nouvelle explosion de la pandémie, et continuer à protéger les plus âgés et les plus fragiles. Pour autant, il est urgent de sortir de cette paranoïa collective et laisser les enfants reprendre une vie ordinaire, une école ordinaire. C’est aux personnes les plus à risques de se protéger correctement, pas aux plus jeunes de supporter la prise en charge de cette protection. Le monde de demain, ce sont les enfants qui vont le faire, qui vont le vivre. Que leur restera-t-il de cette période où les messages sur la peur de l’autre, l’angoisse de la mort, l’isolement auront dominé la vie ? On ne construira pas un monde plus solidaire, plus égalitaire, ouvert aux autres si on apprend à nos enfants à vivre avec cette peur de l’autre et de la mort. Laissons les enfants reprendre l’école, les relations sociales, les jeux, la vie tout simplement, faisons leur confiance pour qu’ils construisent le monde du futur qui sera le leur. Quand j’ai été sollicitée pour écrire dans le petit carnet « Parole », je me suis demandé ce que je pouvais avoir à dire, moi, qui ne suis ni intellectuelle, ni médecin, ni journaliste, mais une simple citoyenne, professeur des écoles à la retraite, qui ai été engagée tout au long de sa vie en tant que syndicaliste, qui ai toujours été convaincue que l’École avait un rôle fondamental de socialisation des enfants, en plus d’être un lieu d’apprentissage. Et c’est parce que ma colère grandit d’entendre parler du monde futur au moment où l’on transforme les enfants en otages dociles d’adultes apeurés, que je veux prendre la parole. Cela fait plus de deux mois que nous sommes tous confinés, enfermés dans nos quatre murs, pour certains avec un jardin et de l’espace, mais pour d’autres, la promiscuité, une gestion du quotidien bien difficile et parfois la violence en prime. Pour protéger les plus âgés, toute la population s’est enfermée, obéissant aux injonctions des politiques et des experts. Il fallait sûrement le faire pendant ces deux mois. Les enfants et les adolescents, peu touchés par le Covid, se sont vus infliger cet enfermement avec la fermeture brutale des écoles, des collèges, des lycées. Alors qu’ils ont l’âge de se tourner vers la vie et le futur, on les a privés de tout ce qui, avant, faisait leur vie sociale. On les a renvoyés à leurs écrans, pour ceux qui en ont, alors que quelques semaines avant, on débattait sans fin du danger de ces mêmes écrans pour les jeunes. Danger devenu d’un coup négligeable face au Covid. La télé, les radios assènent, à longueur de journée, des messages de mort, d’angoisse, faisant peser sur leurs épaules la responsabilité d’une possible transmission à leurs parents et grands-parents du Covid de la mort, sans même leur donner l’occasion d’en parler avec leurs copains et copines. Enfin, le « déconfinement » a été annoncé pour le 11 mai, la vie allait reprendre, à petits pas. Nous allions retrouver une certaine liberté, et les enfants, l’école dont on avait tant vanté l’importance pendant ces semaines de confinement. Mais non, pas trop vite ! Masques, plus ou moins obligatoires, mais plutôt conseillés, lavages de mains et désinfection à tout va. On commence par ceux qui travaillent, qui vont prendre chaque jour les transports en commun. Il semble que, pour eux, ce n’est pas trop risqué ! En tout cas, les spécialistes des protocoles ne s’étendent pas trop sur le sujet. Tenez vos distances, mettez un masque et tout ira bien ! Et les enfants, dans tout ça ? Sont-ils dangereux ? pour eux-mêmes ? pour les autres ? Les experts semblent d’accord pour dire qu’ils ne risquent pas grand-chose, ni pour eux-mêmes et ni pour les autres à qui ils transmettraient peu le Covid. Pour autant, il faut presque 60 pages de consignes pour organiser leur accueil à l’école. Pas de contact entre eux ; en face d’eux, des adultes masqués ; pas de jeux dans la cour ; désinfection à tout va du matériel, des tables, des chaises, des salles de classe et des toilettes et lavage des mains, encore et encore… Chacun, enseignants, maires, responsables de l’Éducation, en rajoute au gré de son interprétation, de son imagination et de ses angoisses personnelles, limitant de fait l’accueil des enfants : ici, pas plus de cinq enfants à la fois, là des carrés tracés au sol dans lesquels les enfants doivent rester pendant la récréation, et ailleurs un contrat que les parents doivent signer, après avoir lu le protocole, pour bien montrer qu’ils acceptent en toute connaissance de cause, les risques majeurs qu’ils prennent en mettant leur enfant à l’école ! Bref, on a ainsi identifié les parents qui, malgré tous ces obstacles, mettant les enfants à l’école, sont bien irresponsables ! Pourtant, les enfants de soignants et de salariés, obligés de travailler pendant le confinement, ont été accueillis à l’école, sans protocole si restrictif, pendant deux mois. Et il n’y a pas eu de catastrophe sanitaire. Pourtant, nombreux sont les spécialistes de l’enfance, pédiatres, pédo-psychiatres, qui expliquent qu’il est urgent que tous les enfants reprennent le chemin de l’École, d’une école bienveillante, d’une école accueillante, d’une école vivante. Et ce qu’on propose aux enfants, c’est une école mortifère, angoissante, stigmatisante, quand ils peuvent y aller. Et pour tous les autres ? Ils doivent rester chez eux, sans toujours la possibilité d’aller jouer dans un jardin public où, quand ils y ont accès, les toboggans et les balançoires sont condamnés par de la rubalise pour qu’ils ne puissent surtout pas accéder à ces jeux soudainement devenus porteurs des malheurs qui pourraient les atteindre. Comment ne pas mesurer les risques limités que représente l’école pour les enfants, au regard des dégâts psychologiques et affectifs que cet isolement va entraîner ? Comment les responsables de l’éducation nationale, les organisations syndicales d’enseignants en sont-ils arrivés à produire des règles qui dénaturent les fondements mêmes du métier d’enseignant, oubliant que la mission première des enseignants et des personnels des écoles est d’accompagner les enfants dans les apprentissages scolaires et sociaux. Comment certains enseignants en sont-ils arrivés à ne voir les enfants que comme des dangereux porteurs du Covid, oubliant qu’ils sont la raison d’être de la mission que la Nation leur a confiée ? Est-ce vraiment ce monde que nous voulons pour les plus jeunes ? Bien sûr, il va falloir vivre avec le Covid, comme on vit avec la grippe, comme beaucoup vivent avec la dengue ou d’autres épidémies et comme on vit, tous les jours, avec tous les risques inhérents à la vie que sont les accidents et les maladies. Oui, il arrive que la mort frappe, le plus souvent les plus âgés et les malades et parfois les plus jeunes. Rien de nouveau à cela. Certains avaient pensé, à tort, que la science et la technique permettraient d’y échapper dans les pays les plus riches. Oui, il faut continuer à vivre et il continuera d’y avoir des morts du Covid ou d’autre chose. Oui, il va falloir prendre les précautions indispensables, raisonnables pour éviter une nouvelle explosion de la pandémie, et continuer à protéger les plus âgés et les plus fragiles. Pour autant, il est urgent de sortir de cette paranoïa collective et laisser les enfants reprendre une vie ordinaire, une école ordinaire. C’est aux personnes les plus à risques de se protéger correctement, pas aux plus jeunes de supporter la prise en charge de cette protection. Le monde de demain, ce sont les enfants qui vont le faire, qui vont le vivre. Que leur restera-t-il de cette période où les messages sur la peur de l’autre, l’angoisse de la mort, l’isolement auront dominé la vie ? On ne construira pas un monde plus solidaire, plus égalitaire, ouvert aux autres si on apprend à nos enfants à vivre avec cette peur de l’autre et de la mort. Laissons les enfants reprendre l’école, les relations sociales, les jeux, la vie tout simplement, faisons leur confiance pour qu’ils construisent le monde du futur qui sera le leur.