La pandémie de Covid-19 a défié les capacités techniques des systèmes de santé les plus sophistiqués des pays les plus avancés sur le plan économique. Il est aussi évident que les pays les plus démunis sont en train de lui payer un lourd tribut. Le paradoxe apparent, c’est que ces derniers ne sont pas nécessairement ceux qui comptent le plus de victimes. C’est là un des nombreux aspects de la pandémie pour lesquels se posent de nombreuses hypothèses. Je ne m’arrêterai pas aujourd’hui sur ces questions. J’essaierai plutôt de porter la réflexion sur nos conceptions de la santé à la lumière de ce choc mondial provoqué par ce coronavirus. Reprenons les définitions de la santé généralement admises et sur lesquelles se basent, en principe, l’élaboration des politiques de santé et la mise en place des systèmes de santé. D’abord celle inscrite dans le préambule de la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (1946) : « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » D’un autre côté « J. Monnier et al » font le constat suivant : « La difficulté de trouver une définition satisfaisante de la santé n’est pas une simple question de vocabulaire, elle indique plutôt qu’il s’agit d’une réalité complexe, polymorphe et mouvante. » Ils proposent toutefois la définition suivante : « La santé est l’équilibre et l’harmonie de toutes les possibilités de la personne humaine, biologiques, psychologiques et sociales. Cet équilibre exige, d’une part, la satisfaction des besoins fondamentaux de l’homme qui sont qualitativement les mêmes pour tous les êtres humains (besoins affectifs, nutritionnels, sanitaires, éducatifs et sociaux), d’autre part, une adaptation sans cesse remise en question de l’homme à un environnement en perpétuelle mutation. » (J. Monnier, J.P. Deschamps et al. 1980) La communauté humaine fait aussi partie de l’environnement dont il est question ici, d’où la nécessité pour l’homme, l’individu, pour qu’il soit en santé, de se sentir en harmonie et en équilibre avec sa communauté. Les migrations à travers le monde sont, par exemple, un élément de la perpétuelle mutation de l’environnement. En dépit de l’accent mis sur l’aspect social par ces définitions, les systèmes et politiques dits de santé se sont plutôt souvent élaborés ou construits, à travers le monde, en tant que systèmes et politiques de soins, aujourd’hui rudement mis à l’épreuve. La pandémie de Covid-19 vient nous rappeler que la santé n’est pas qu’individuelle. Elle est aussi collective. C’est une communauté, une société, un monde qui est malade, nombre de ses membres souffrant physiquement, les autres étant affectés, d’une manière ou d’une autre, sur le plan psychologique ou par l’incapacité (nouvelle ou antérieure) de satisfaire leurs besoins fondamentaux cités dans la définition de J Monnier et al. Puisque collective, la santé doit être considérée comme un bien commun, un bien auquel chacun et tous doivent contribuer, un bien à préserver par tous et auquel chacun a droit. Aussi, ce devrait être une priorité de la promouvoir, de la préserver et aussi de la restaurer. Trop souvent l’accent a été mis essentiellement sur les moyens de la restaurer, en négligeant les autres facteurs qui la déterminent. Alors que rendre la santé relève des soins médicaux, un champ technique, sa promotion et sa conservation sont plutôt liées à une complexité de domaines tels que l’éducation, les sciences humaines, l’agriculture, l’alimentation, les travaux publics, la préservation de l’environnement et de la biodiversité… Complexité à laquelle s’intègrent aussi certains aspects du domaine des soins médicaux comme la vaccination. La santé dépend donc de nombreux déterminants sur lesquels je ne m’arrêterai pas ici. Je voudrais en relever un que la pandémie de Covid-19 met bien en évidence : le politique. En effet, la réponse à celle-ci est avant tout gérée par les plus hautes instances politiques, même quand les acteurs de première ligne à lui faire face sont les professionnels de la santé. Il n’est dès lors pas étonnant que les stratégies de lutte, et leurs résultats varient en fonction des régimes politiques. La pandémie de Covid-19 a aussi donné l’occasion à la politique de s’immiscer jusque dans les décisions sur les techniques de soin. L’exemple le plus flagrant et proche du caricatural, est celui du Brésil, pays de l’Amérique latine le plus frappé par la pandémie, où le président Bolsonaro a dû se défaire en quelques semaines de deux ministres de la santé successifs, l’un pour cause de divergence sur les mesures barrières de prévention, l’autre pour son refus d’accepter le protocole national de traitement qu’il proposait. Il est incontestable que le politique est, en dehors des déterminants individuels de la santé (biologiques, génétiques, compétences individuelles…), le dominant. Il a la responsabilité d’organiser, de coordonner tous les autres facteurs sociaux et environnementaux déterminants de la santé individuelle et surtout collective. Citons les systèmes d’éducation, de soins, de services sociaux… Le contexte législatif, l’aménagement du territoire, la protection de l’environnement et des écosystèmes dépendent aussi de lui ainsi que le système économique. Ce dernier a cependant réussi à s’imposer sous forme d’économie libérale et à asservir le politique au détriment des autres déterminants notamment l’environnement et la biodiversité. La croissance économique, souvent au prix d’inégalités sociales énormes, est alors perçue davantage comme une fin plutôt que comme moyen pour contribuer au mieux-être et à la santé des populations. Qu’en sera-t-il à la sortie de la crise ? La tendance se dessine déjà chez les dirigeants politiques de s’intéresser en priorité à la relance du système économique tel qu’il a fonctionné jusqu’à cette crise sanitaire. On gardera en mémoire que ce système, dans de nombreux pays, a entraîné une réduction, parfois drastique, des ressources allouées aux soins de santé ou les a orientés vers la privatisation. La santé était alors loin d’être perçue comme un bien commun. De plus les inégalités sociales risquent de devenir encore plus criantes. Il est sans doute venu le temps de se réconcilier avec la conception de la santé humaine comme liée à celle de l’environnement, de la communauté, à celle de la planète. Un retour à la Charte d’Ottawa (1986) est pour cela souhaitable. Elle définit cinq priorités d’action (stratégies) : « Élaborer des politiques pour la santé ; créer des environnements favorables à la santé ; renforcer l’action communautaire ; acquérir des aptitudes individuelles ; réorienter des services de santé. » Elle a surtout donné suite à de grandes conférences et déclarations parmi lesquelles j’en souligne deux. La conférence d’Helsinki (2013) invite à « mettre en œuvre l’approche axée sur la santé dans toutes les politiques… » La déclaration de Rotorua (2019), elle, vise à « promouvoir la santé planétaire et le développement durable pour tous ». Elle invite, entre autres, à « concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces et équitables d’adaptation aux changements climatiques ». Face à la tendance des dirigeants politiques de redonner la priorité à l’économie sur la santé il reviendra aux organisations citoyennes de veiller à la promotion de la santé conçue comme un « état d’équilibre harmonieux entre l’homme, les hommes et le milieu ». La Covid-19 a aussi fortement ébranlé l’Organisation mondiale de la santé et l’a contrainte à changer, cette année, l’agenda de son assemblée générale. La pandémie a été son seul sujet. Comme le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutierrez, au cours de cette assemblée, souhaitons que la communauté internationale sache « trouver une nouvelle unité, une nouvelle solidarité ». Et si le covid-19 nous invitait à revisiter nos conceptions de la santé ? Daniel Henrys La pandémie de Covid-19 a défié les capacités techniques des systèmes de santé les plus sophistiqués des pays les plus avancés sur le plan économique. Il est aussi évident que les pays les plus démunis sont en train de lui payer un lourd tribut. Le paradoxe apparent, c’est que ces derniers ne sont pas nécessairement ceux qui comptent le plus de victimes. C’est là un des nombreux aspects de la pandémie pour lesquels se posent de nombreuses hypothèses. Je ne m’arrêterai pas aujourd’hui sur ces questions. J’essaierai plutôt de porter la réflexion sur nos conceptions de la santé à la lumière de ce choc mondial provoqué par ce coronavirus. Reprenons les définitions de la santé généralement admises et sur lesquelles se basent, en principe, l’élaboration des politiques de santé et la mise en place des systèmes de santé. D’abord celle inscrite dans le préambule de la constitution de l’Organisation mondiale de la santé (1946) : « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » D’un autre côté « J. Monnier et al » font le constat suivant : « La difficulté de trouver une définition satisfaisante de la santé n’est pas une simple question de vocabulaire, elle indique plutôt qu’il s’agit d’une réalité complexe, polymorphe et mouvante. » Ils proposent toutefois la définition suivante : « La santé est l’équilibre et l’harmonie de toutes les possibilités de la personne humaine, biologiques, psychologiques et sociales. Cet équilibre exige, d’une part, la satisfaction des besoins fondamentaux de l’homme qui sont qualitativement les mêmes pour tous les êtres humains (besoins affectifs, nutritionnels, sanitaires, éducatifs et sociaux), d’autre part, une adaptation sans cesse remise en question de l’homme à un environnement en perpétuelle mutation. » (J. Monnier, J.P. Deschamps et al. 1980) La communauté humaine fait aussi partie de l’environnement dont il est question ici, d’où la nécessité pour l’homme, l’individu, pour qu’il soit en santé, de se sentir en harmonie et en équilibre avec sa communauté. Les migrations à travers le monde sont, par exemple, un élément de la perpétuelle mutation de l’environnement. En dépit de l’accent mis sur l’aspect social par ces définitions, les systèmes et politiques dits de santé se sont plutôt souvent élaborés ou construits, à travers le monde, en tant que systèmes et politiques de soins, aujourd’hui rudement mis à l’épreuve. La pandémie de Covid-19 vient nous rappeler que la santé n’est pas qu’individuelle. Elle est aussi collective. C’est une communauté, une société, un monde qui est malade, nombre de ses membres souffrant physiquement, les autres étant affectés, d’une manière ou d’une autre, sur le plan psychologique ou par l’incapacité (nouvelle ou antérieure) de satisfaire leurs besoins fondamentaux cités dans la définition de J Monnier et al. Puisque collective, la santé doit être considérée comme un bien commun, un bien auquel chacun et tous doivent contribuer, un bien à préserver par tous et auquel chacun a droit. Aussi, ce devrait être une priorité de la promouvoir, de la préserver et aussi de la restaurer. Trop souvent l’accent a été mis essentiellement sur les moyens de la restaurer, en négligeant les autres facteurs qui la déterminent. Alors que rendre la santé relève des soins médicaux, un champ technique, sa promotion et sa conservation sont plutôt liées à une complexité de domaines tels que l’éducation, les sciences humaines, l’agriculture, l’alimentation, les travaux publics, la préservation de l’environnement et de la biodiversité… Complexité à laquelle s’intègrent aussi certains aspects du domaine des soins médicaux comme la vaccination. La santé dépend donc de nombreux déterminants sur lesquels je ne m’arrêterai pas ici. Je voudrais en relever un que la pandémie de Covid-19 met bien en évidence : le politique. En effet, la réponse à celle-ci est avant tout gérée par les plus hautes instances politiques, même quand les acteurs de première ligne à lui faire face sont les professionnels de la santé. Il n’est dès lors pas étonnant que les stratégies de lutte, et leurs résultats varient en fonction des régimes politiques. La pandémie de Covid-19 a aussi donné l’occasion à la politique de s’immiscer jusque dans les décisions sur les techniques de soin. L’exemple le plus flagrant et proche du caricatural, est celui du Brésil, pays de l’Amérique latine le plus frappé par la pandémie, où le président Bolsonaro a dû se défaire en quelques semaines de deux ministres de la santé successifs, l’un pour cause de divergence sur les mesures barrières de prévention, l’autre pour son refus d’accepter le protocole national de traitement qu’il proposait. Il est incontestable que le politique est, en dehors des déterminants individuels de la santé (biologiques, génétiques, compétences individuelles…), le dominant. Il a la responsabilité d’organiser, de coordonner tous les autres facteurs sociaux et environnementaux déterminants de la santé individuelle et surtout collective. Citons les systèmes d’éducation, de soins, de services sociaux… Le contexte législatif, l’aménagement du territoire, la protection de l’environnement et des écosystèmes dépendent aussi de lui ainsi que le système économique. Ce dernier a cependant réussi à s’imposer sous forme d’économie libérale et à asservir le politique au détriment des autres déterminants notamment l’environnement et la biodiversité. La croissance économique, souvent au prix d’inégalités sociales énormes, est alors perçue davantage comme une fin plutôt que comme moyen pour contribuer au mieux-être et à la santé des populations. Qu’en sera-t-il à la sortie de la crise ? La tendance se dessine déjà chez les dirigeants politiques de s’intéresser en priorité à la relance du système économique tel qu’il a fonctionné jusqu’à cette crise sanitaire. On gardera en mémoire que ce système, dans de nombreux pays, a entraîné une réduction, parfois drastique, des ressources allouées aux soins de santé ou les a orientés vers la privatisation. La santé était alors loin d’être perçue comme un bien commun. De plus les inégalités sociales risquent de devenir encore plus criantes. Il est sans doute venu le temps de se réconcilier avec la conception de la santé humaine comme liée à celle de l’environnement, de la communauté, à celle de la planète. Un retour à la Charte d’Ottawa (1986) est pour cela souhaitable. Elle définit cinq priorités d’action (stratégies) : « Élaborer des politiques pour la santé ; créer des environnements favorables à la santé ; renforcer l’action communautaire ; acquérir des aptitudes individuelles ; réorienter des services de santé. » Elle a surtout donné suite à de grandes conférences et déclarations parmi lesquelles j’en souligne deux. La conférence d’Helsinki (2013) invite à « mettre en œuvre l’approche axée sur la santé dans toutes les politiques… » La déclaration de Rotorua (2019), elle, vise à « promouvoir la santé planétaire et le développement durable pour tous ». Elle invite, entre autres, à « concevoir et mettre en œuvre des stratégies efficaces et équitables d’adaptation aux changements climatiques ». Face à la tendance des dirigeants politiques de redonner la priorité à l’économie sur la santé il reviendra aux organisations citoyennes de veiller à la promotion de la santé conçue comme un « état d’équilibre harmonieux entre l’homme, les hommes et le milieu ». La Covid-19 a aussi fortement ébranlé l’Organisation mondiale de la santé et l’a contrainte à changer, cette année, l’agenda de son assemblée générale. La pandémie a été son seul sujet. Comme le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutierrez, au cours de cette assemblée, souhaitons que la communauté internationale sache « trouver une nouvelle unité, une nouvelle solidarité ».