Dans son livre Introduction au siècle des menaces*, Jacques Blamont écrit en 2004 : « Rien ne permet de soupçonner où ni quand surviendra la cassure, le glissement ou la mutation qui engendrera la prochaine pandémie, mais ce qui est sûr, c’est que nous nous en rapprochons »... et il était loin d’être le seul à lancer cet avertissement. Pourtant, dans de nombreux pays, dont la France, la pandémie actuelle s’est trouvée face à un état d’impréparation totale. Quelles leçons pourra-t-on en tirer ? En réalité, une pandémie virale ou bactérienne mais résistante aux antibiotiques, n’est pas le seul risque auquel nous pourrions avoir à faire face dans le courant de ce siècle. Cyber guerre ou même Cyber dérèglement mondial, emballement d’une intelligence artificielle de niveau supérieur, attentat massif, pression migratoire insupportable, guerre de l’eau, révolte des oubliés de la mondialisation, dérèglement climatique catastrophique dans certaines régions très peuplées... on pourrait en faire une longue liste. Toutes ces situations catastrophiques ont un point commun, elles nécessitent à la fois un effort préalable permettant d’espérer les éviter, mais lorsqu’elles arrivent malgré tout, elles rendent nécessaire une réaction rapide et efficace. Or cette dernière ne peut exister que dans la mesure où un certain nombre de mesures d’anticipation ont été prises et assumées par ceux qui nous gouvernent. Lorsqu’au cours de ma vie professionnelle j’ai été amené à diriger la recherche d’une grande entreprise, j’avais coutume de souligner que la vie elle-même n’avait pu subsister que grâce à deux de ces caractéristiques : la biodiversité et la redondance. La première permet de diluer les risques et la seconde de répondre à la défaillance d’un élément essentiel. Si les chefs d’entreprise ont assez bien intégré le premier point, suite notamment à la faillite de certaines entreprises trop « mono produit » comme ce fut le cas de Kodak par exemple, la redondance n’est absolument pas dans leurs gènes, bien au contraire. La gestion « à l’os », sous l’influence des actionnaires notamment, est plutôt la règle et s’est étendue à la sphère publique comme l’a montrée la gestion du système de santé français. Mais sans entrer dans le domaine de la gouvernance, qui n’est pas le mien, que peut-on dire pour la recherche et la technologie ? Bien évidemment des domaines particuliers devront faire l’objet d’efforts de recherche renouvelés. Cela ne concerne pas que la biologie et les sciences de la vie, mais aussi la cybersécurité, la production alimentaire sûre et en quantité suffisante, la gestion de l’eau... et certainement les sciences humaines, essentielles dans la réflexion sur la gestion des crises et dont la place devra être redéfinie, justifiant ainsi leur mobilisation. Mais ce qui est le plus frappant est la façon dont le monde de la recherche s’est mobilisé lors de cette crise, générant à la fois une abondance considérable de publications et de résultats, des méthodes de diffusions de ces résultats parfois inédites et des collaborations tout azimut. Il n’est pas exclu que, pour une part, ceci préfigure une forme de mutation, qui était déjà en route, de la pratique même de la recherche scientifique. Une sorte de recherche 2.0 qui devra trouver ses méthodes de travail, de communication, de validation des résultats... et qui d’une certaine façon pourrait être une mutation aussi importante que lorsque dans les années 40 les « savants » sont devenus des « chercheurs » professionnels. C’est donc une affaire à suivre. En particulier un équilibre aujourd’hui, sérieusement menacé, devra être retrouvé entre des travaux très fondamentaux, à long terme, menés par des équipes choisies pour leur excellence et relativement épargnées par la recherche permanente de crédits, et des travaux plus ciblés, plus rapides, impliquant des communautés plus larges et répondant à des questions qui se posent explicitement. Du côté de la technologie, de nombreuses questions ont été soulevées par cette crise : Quelles technologies clés rendre relativement indépendantes du partage mondial de la production ? Quelles technologies développer pour être rapidement mobilisables en cas de besoin, notamment des technologies « frugales » qui pourraient se révéler rapidement mises en œuvre et essentielles aux pays les moins riches. Comment évaluer, sérieusement mais sans se réfugier derrière un principe de précaution dévoyé, les risques inhérents aux développements de certaines technologies nouvelles... De toute façon, une veille très attentive des signaux faibles permettant de détecter très en amont, le déclenchement d’une crise possible devra être menée par des spécialistes indépendants et dotés des moyens d’analyses nécessaires. Il y aurait évidemment beaucoup plus à dire sur tout cela que ce que permet une unique page de réflexions ! * « Introduction au siècle des menaces » Jacques Blamont, Éditions Odile Jacob Le jour d’après Dans son livre Introduction au siècle des menaces*, Jacques Blamont écrit en 2004 : « Rien ne permet de soupçonner où ni quand surviendra la cassure, le glissement ou la mutation qui engendrera la prochaine pandémie, mais ce qui est sûr, c’est que nous nous en rapprochons »... et il était loin d’être le seul à lancer cet avertissement. Pourtant, dans de nombreux pays, dont la France, la pandémie actuelle s’est trouvée face à un état d’impréparation totale. Quelles leçons pourra-t-on en tirer ? En réalité, une pandémie virale ou bactérienne mais résistante aux antibiotiques, n’est pas le seul risque auquel nous pourrions avoir à faire face dans le courant de ce siècle. Cyber guerre ou même Cyber dérèglement mondial, emballement d’une intelligence artificielle de niveau supérieur, attentat massif, pression migratoire insupportable, guerre de l’eau, révolte des oubliés de la mondialisation, dérèglement climatique catastrophique dans certaines régions très peuplées... on pourrait en faire une longue liste. Toutes ces situations catastrophiques ont un point commun, elles nécessitent à la fois un effort préalable permettant d’espérer les éviter, mais lorsqu’elles arrivent malgré tout, elles rendent nécessaire une réaction rapide et efficace. Or cette dernière ne peut exister que dans la mesure où un certain nombre de mesures d’anticipation ont été prises et assumées par ceux qui nous gouvernent. Lorsqu’au cours de ma vie professionnelle j’ai été amené à diriger la recherche d’une grande entreprise, j’avais coutume de souligner que la vie elle-même n’avait pu subsister que grâce à deux de ces caractéristiques : la biodiversité et la redondance. La première permet de diluer les risques et la seconde de répondre à la défaillance d’un élément essentiel. Si les chefs d’entreprise ont assez bien intégré le premier point, suite notamment à la faillite de certaines entreprises trop « mono produit » comme ce fut le cas de Kodak par exemple, la redondance n’est absolument pas dans leurs gènes, bien au contraire. La gestion « à l’os », sous l’influence des actionnaires notamment, est plutôt la règle et s’est étendue à la sphère publique comme l’a montrée la gestion du système de santé français. Mais sans entrer dans le domaine de la gouvernance, qui n’est pas le mien, que peut-on dire pour la recherche et la technologie ? Bien évidemment des domaines particuliers devront faire l’objet d’efforts de recherche renouvelés. Cela ne concerne pas que la biologie et les sciences de la vie, mais aussi la cybersécurité, la production alimentaire sûre et en quantité suffisante, la gestion de l’eau... et certainement les sciences humaines, essentielles dans la réflexion sur la gestion des crises et dont la place devra être redéfinie, justifiant ainsi leur mobilisation. Mais ce qui est le plus frappant est la façon dont le monde de la recherche s’est mobilisé lors de cette crise, générant à la fois une abondance considérable de publications et de résultats, des méthodes de diffusions de ces résultats parfois inédites et des collaborations tout azimut. Il n’est pas exclu que, pour une part, ceci préfigure une forme de mutation, qui était déjà en route, de la pratique même de la recherche scientifique. Une sorte de recherche 2.0 qui devra trouver ses méthodes de travail, de communication, de validation des résultats... et qui d’une certaine façon pourrait être une mutation aussi importante que lorsque dans les années 40 les « savants » sont devenus des « chercheurs » professionnels. C’est donc une affaire à suivre. En particulier un équilibre aujourd’hui, sérieusement menacé, devra être retrouvé entre des travaux très fondamentaux, à long terme, menés par des équipes choisies pour leur excellence et relativement épargnées par la recherche permanente de crédits, et des travaux plus ciblés, plus rapides, impliquant des communautés plus larges et répondant à des questions qui se posent explicitement. Du côté de la technologie, de nombreuses questions ont été soulevées par cette crise : Quelles technologies clés rendre relativement indépendantes du partage mondial de la production ? Quelles technologies développer pour être rapidement mobilisables en cas de besoin, notamment des technologies « frugales » qui pourraient se révéler rapidement mises en œuvre et essentielles aux pays les moins riches. Comment évaluer, sérieusement mais sans se réfugier derrière un principe de précaution dévoyé, les risques inhérents aux développements de certaines technologies nouvelles... De toute façon, une veille très attentive des signaux faibles permettant de détecter très en amont, le déclenchement d’une crise possible devra être menée par des spécialistes indépendants et dotés des moyens d’analyses nécessaires. Il y aurait évidemment beaucoup plus à dire sur tout cela que ce que permet une unique page de réflexions ! Jean-Claude Lehmann Le 8 mai 2020 * « Introduction au siècle des menaces » Jacques Blamont, Éditions Odile Jacob